Dmitri Hvorostovsky (baryton). Academy of St Martin in the Fields, Sir Neville Marriner

La voix est bel(le) et bien russe, et nous livre régulièrement, depuis une petite décennie, et dans son répertoire naturel, quelques incarnations d’anthologie : l’un des plus grands Onéguine de tous les temps, des Chants et danses de la mort… à mourir, précisément ! Plus quelques airs (opératiques et folkloriques) à glaner dans ses divers récitals, tous édités chez Philips. Mais Dmitri Hvorostovsky (prononcez « Rvo-rrros-tov-ski ») est aussi baryton Verdi de haut vol -un Germont des plus classieux, et un Posa non moins somptueux (dans le récent Don Carlo de Haitink)- et bel cantiste plus qu’appréciable*… et dire qu’il y en a encore (heureusement, de moins en moins) pour snober cette voix-là !

Provoc’ ou intox, le beau Dmitri (et conscient de l’être, avec ça, vous avez vu ?!) s’attaque aujourd’hui à un répertoire décidément très tendance chez nos jeunes barytons-stars (cf. le récent recital Handel de Bryn Terfel) : l’opéra baroque, qui commence avec Caccini pour aller jusqu’aux pré-classiques Handel et Gluck. « Orribile lo scempio !« , s’écrieront les intégristes de tout poil, sans doute épouvantés qu’un baryton (russe, de surcroît !) vienne asticoter mezzos et contre-ténors dans leur domaine réservé. Que les grincheux passent leur chemin, car même si l’on ne s’est toujours pas remis du « O del mio dolce ardor » de von Otter, même si l’on a-do-re son Orfeo, même si la délicatesse d’une Bartoli n’a pas d’égal dans « Caro mio ben » ou « Amarilli« … même si, même si, même si… où trouver tant de couleur(s), tant d’ardeur, justement, tant de richesse et d’allant que chez un baryton, que chez Hvorostovsky ?!

Le Russe n’a peur de rien : voix agile et gorge profonde, il joue et triomphe dans tous les registres, des airs de pure virtuosité (Tito Manlio : plages 2 et 6, précipitez-vous !) aux complaintes toutes de douleur contenue (« Nina« ). Avec, s’il vous plaît, un art incomparable de la demi-teinte. Et ces accents déchirants (Stradella), cette vie, ce tourbillon (« Danza, fanciulla« ) ! Et ce souffle, cette ligne, somptueusement tenue, dans un « Ombra mai fu » qui laisse Terfel sur le carreau !

Immense chanteur, donc, qui aurait mérité accompagnateur plus fervent. Marriner n’a hélas ni le chic de Pinnock, ni le don de Minkowski : honnête et consciencieux, se réveillant in extremis dans des Vivaldi azymutés. Mais Hvorostovsky a du génie pour deux : son règne ne fait que débuter, et voilà un disque qui n’aura pas le loisir de prendre la poussière dans nos rayonnages.

Stéphane Grant


*Sortie concomitante à ce récital d’un CD Arias & Duets avec Olga Borodina : Rossini, Rimsky-Korsakov, Donizetti et Saint-Saens… rien que du très connu mais un exercice suffisamment rare au disque pour ne pas s’en priver.