Dans nos années 00, nous n’avons sans doute jamais été si proches des silver sixties : observez seulement les sorties du moment, de Nancy Sinatra à Brian Wilson, et vous vous demanderez en quelle année vous êtes : 1964 ? 2004 ? Et puis il n’est même plus la peine de présenter cette palanquée de « groupes en The », s’évertuant à ranimer l’explosion hédoniste et séminale de cette riche période, soit par le son (les acides Old Time Relijun) soit par l’image (tous ceux qui ont plus étudié Jacques Dessange qu’écouté les Seeds). Alors, cela devait arriver, après les groupes de garçons, on voit arriver les solistes, et parmi ceux-ci, les filles.

Nous connaissions depuis quelques temps April March ; désormais, notre nouvelle amie s’appelle Denise James. Elle vit à Detroit (inévitable !), mais est française d’origine (ah ! ce prénom féerique !) et nous présente un recueil de 10 chansons qui évoquent sans hésitation la Françoise Hardy vaporeuse et mélancolique du début des sixties, celle d’avant le passage à l’âge adulte, celle de Quand mon amour va prendre l’air ou Mon amie la rose. Une Françoise Hardy qui aurait choisi l’anglais pour y aller de son spleen -de toute façon- universel : une fille aime un garçon, et le garçon, bof, pas trop…

Dès l’ouverture, avec Hold on this time, le décor est posé : un son de guitare clair, très jingle-jangle, hérité des Byrds qui soutient une voix prise dans l’écho et qui constate déjà « got no friends / got no enemies (…) I gave you what you want / but that’s far from what you need », des choeurs tout Beach-Boysiens viennent mettre du miel sur la détresse de la Demoiselle mais ne parviennent jamais à chasser le fond cafardeux de ces histoires de perte, de passions avortées et d’amours déçues : « Love has got me crying again » rappelle les thèmes et couleurs chéris des Everly Brothers, maîtres dans l’art de chanter comme des pinsons les peines de coeur les plus tragiques. L’album recèle plusieurs perles pop au premier rang desquels figure le nocturne Absolutely sad, qui mériterait de figurer dans la bande son de Blue velvet s’il avait pu sortir plus tôt. Seul fausse note : l’instrumental Just like that, à la fois anecdotique et sans doute trop étiré, au vu du format idéalement calibrés des autres chansons (ces fameuses 2 minutes 30 !).

Denise James possède un talent certain de songwriting mais, si son premier album éponyme était passé inaperçu, It’s not enough to love tire une partie de sa force des sonorités automnales qui entourent les chansons. On doit l’orchestration et la production, toute en nuances, à Matthew Smith, personnage influent de la scène de Detroit puisqu’il a produit moult albums de groupes du cru, de la période pré-White Stripes (dont The Go, avec Jack White), en plus d’être responsable d’Outrageous Cherry, groupe baptisé ainsi en hommage à Kim Fowley. Ici, il assouvi ses fantasmes d’orfèvre pop, dans un registre plus retenu qu’à l’accoutumée, entièrement au service de Denise James. L’idéal aurait été qu’il pousse son rôle de Pygmalion jusqu’au choix de la pochette qui, malheureusement, pousse le clin d’oeil un peu trop loin, coiffure choucroute à l’appui ! It’s not enough to love malgré ses partis pris old school n’a rien du pastiche mais constitue bien un des plus beaux recueils de pop songs de cet automne.