Du très actif Dave Douglas, on était resté, il y a exactement un an, sur le souvenir d’une galette aux tentations électroniques mitigée, Freak in : un bric-à-brac d’atmosphères, de boucles et d’influences dans lequel on peinait à trouver ses repères, tout en reconnaissant que, comme à l’accoutumée, le leader ne manquait pas d’idées. Strange liberation, son 21e album sous son nom (pas mal, à quarante ans), revient dans les voies plus classiques, si l’on peut dire, d’un quintet qu’on avait déjà pu entendre dans The Infinite, il y a deux ans : avec Uri Caine (piano), Chris Potter (ténor) James Genus (basse) et Clarence Penn (batterie), le trompettiste new-yorkais tient assurément les rênes d’un all-stars band de toute première envergure, dont les réflexes collectifs ont pu se rôder au cours des deux ans de tournée qui suivirent la parution de son premier disque. « Après avoir tant tourné ensemble, le groupe a vraiment atteint un nouveau niveau de communication, explique Douglas. Les interactions entre les membres du groupe, dans un morceau comme Seventeen, par exemple, sont vraiment excitantes à écouter. C’est comme une conversation dans laquelle chacun a quelque chose à dire, et tout le monde écoute ». Pour ajouter à la richesse de l’équation, il a fait appel aux six cordes de Bill Frisell, guest-star de luxe sur l’ensemble de l’album ; les quatre pages du texte de pochette disent toute l’admiration du trompettiste pour son aîné, et relatent rapidement les circonstances de leurs rencontres successives.

Résultat : un jazz de chambre finement coloré, d’une grande élégance, où priment les atmosphères en demi-teintes et les mélodies tendues, au lyrisme heurté. Chris Potter est admirable, comme toujours ; Douglas, s’il s’impose ici ou là avec des solos d’une grande efficacité (Seventeen), se fond volontiers dans un ensemble dominé par la saveur immédiatement reconnaissable de la guitare de Frisell. Compositions d’inspiration monkienne (Skeeter-ism) et ballades envoûtantes (Just say this) font la part belle à l’extrême souci de texture, d’arrangement, de grain musical qui est celui de leader. Si Strange liberation s’impose à l’évidence comme un disque d’une rare richesse musicale, il peine à sortir d’une espèce de quiétude aseptisée pour déraper vers des épisodes plus explicitement entraînants, au risque de laisser se perdre l’intérêt et l’attention.