Daniel Johnston est l’un des plus grands songwriters américains vivants. Depuis ses cassettes autoproduites, distribuées de la main à la main, jusqu’à ce nouvel album produit par Mark Linkous de Sparklehorse, il est l’incarnation même d’une tradition du songwriting, issue des 60’s, faisant primer la spontanéité sur la technique, au service du pur classicisme pop, la chanson dans son format le plus épuré et le plus universel, le même que les Beatles, modèles tutélaires. Daniel Johnston est un classique, à hauteur de ses modèles.

Les derniers albums de Daniel (excepté son side project texan Danny and The Nightmares) témoignent d’un fort désir de production, d’arrangements, de « professionnalisation », si l’on peut dire, après les années de vaches maigres où le chanteur enregistrait sur simple magnétophone. Mis à part les albums produits par le boss de Shimmy Disc, Kramer (Artistic vice, 1990, et la rumeur en annonce un nouveau à venir), cette ambition formelle s’avérait sinon décevante, en tout cas jamais vraiment à la hauteur intensive des chansons interprétées dans leur plus simple appareil (guitare, voix, souffle). Ce nouvel opus ne fait pas exception à la règle : les arrangements pompiers de Sparklehorse, gonflés de reverb’, sonorisés et mixés avec une emphase outrancière, sont en totale inadéquation, à mon sens, avec la simplicité et l’humilité des chansons. L’universalité des textes suffit à les rendre poignant, sans qu’il soit besoin de les gonfler aux hormones de synthèse en 92 pistes.

C’est d’ailleurs ce qui sauve le disque. Les chansons sont, comme toujours, magnifiques : une majorité de chansons d’amour, où l’amour est complètement idéalisé, à la limite du mysticisme (« Between the lies and laughter / Love is what everyone’s after / Love is a drug that’s faster / Love is the one and only master »), des mélodies imparables, tant pour les chansons douces et/ou angoissantes que pour les morceaux plus catchy (Fish, Love not dead), où la production, plus rock (à guitares) et moins vaniteuse, fonctionne pour une fois plutôt pas mal. En même temps, la voix chevrotante, à la limite du faux, et parfois en retard sur les séquences musicales, produisant de curieux effets karaoké, ne permettra sans doute jamais à un public plus large d’accéder à ce talent unique. En attendant, on écoutera quand même tous les albums de Daniel Johnston avec un égal plaisir. Parce qu’il vit retranché, idiot (mais l’idiotie est ici une forme unique de grâce) dans une époque révolue, parce qu’il est l’un des derniers tenants d’une tradition depuis longtemps disparue, et qui disparaîtra sans doute avec lui.