Les plus anciens s’en souviendront certainement : Yo ! Revolution rap de David Dufresne, livre fondateur de la (très maigre) bibliographie hip-hop francophone, s’achevait sur cette citation de Chuck D, mise en exergue sur la quatrième de couverture sous une photo de KRS-One en uniforme BDP : « Le Rap, c’est comme au basket : boum, boum, quatre passes et un panier ! ». Ce que démontre ce disque, bizarre sous-produit de l’économie du loisir des années 2000, qui mélange la culture populaire dominante du siècle dernier, le sport (puisqu’il est ici question de basket, donc), la subculture qui lui a succédé en Occident au cours des années 1990, le jeu vidéo (en l’occurrence, NBA 2K7), et le hip-hop, sous sa forme la plus pertinente en 2006. Celle de la mixtape, dont cette compilation empreinte l’habillage et les codes, de sa pochette en bichromie à son enfilade de stars en liberté, qui ratisse les quatre coins des Etats-Unis : du Nord (Lupe Fiasco) au Sud (Slim Thug), de l’Est (Mos Def) à l’Ouest (E-40).

Etrange objet en vérité que cette compilation d’instrumentaux de Dan Nakamura alias The Automator, l’architecte sonique du premier Dr. Octagon (le seul valable, méfiez-vous des imitations allemandes), sur lesquels pose un aréopage hétéroclite de rappers dont on a rarement vu les noms accolés : Fabolous et Ghostface, E-40 et les A Tribe Called Quest période Midnight Marauders ressuscités le temps d’un remix. Tout ça pour une célébration sans mélange du ballon orange siglé Spalding. Car, davantage que la « bande originale du jeu », concept aussi creux que les « musiques inspirées du film » qui fondent tant de mauvaises compilations de rap, Dan The Automator Presents 2K7 se présente en fait comme un concept-album de hip-hop entièrement dédié au basket-ball. Tous les titres tournent autour du jeu, de ses règles, de ses défis, et le plus étonnant est sans doute que, dans l’ensemble, ça marche.

Ca marche dès que les morceaux épousent cette rapidité intrinsèque au basket qui en fait un jeu beaucoup plus rythmé que le football, par exemple. Bel exemple avec le titre de Rhymefest, Bang the ball, sur lequel Dan The Automator fait apparaître tout à coup au milieu de ses rythmiques hachées de piano le bruit d’une balle qui frappe le sol, breakbeat organique qui renvoie tout à la fois aux débuts du hip-hop (cf. la fascination des premiers B-Boys pour le funk concret du Kraftwerk de Trans Europe express / Metal on metal) et à la formidable émergence concomitante des stars de la NBA et des stars du rap dans les années 1980-90. Et The Automator confirme le bien-fondé de son parti-pris sportivo-musical à chaque fois qu’il offre à ses invités ces productions syncopées qui, à l’approche du panier, réveillent les fantômes glorieux du Cold Chilling de Marley Marl -voir les beats rehaussés de samples de Don’t hate the player, la basse écrasée de Champions ou Here comes the champ et ses cuivres ruisselants.

Mais le pari ne serait pas tenu si ses hôtes n’étaient pas eux-mêmes inspirés par cet exercice de style en basket-rap. C’est, d’abord, Lupe Fiasco, le petit génie de Chicago, la nouvelle huitième merveille du rap, qui confirme son statut de nouveau Nas -en attendant son prochain Food and liquor déjà multi-bootleggé sur Internet- en s’envolant avec vitesse et légèreté sur le bien nommé Catch me (avec Rakaa des Dilated Peoples, qui effectivement ne le rattrape jamais) ; c’est Rhymefest, dont les rimes à la limite de l’essoufflement sur Bang the ball célèbrent sans mélange les bonds de la balle orange -en cela bien en phase avec les beats Spalding de Dan Nakamura- au milieu des corps qui virevoltent, s’évitent ou s’entrechoquent à l’approche de la raquette ; ce sont les Hieroglyphics qui s’échangent le micro comme d’autres le ballon, d’un haut parleur à l’autre, en scandant leur sagesse streetball sur Don’t hate the player (« … hate the game ») ; et tant pis si les Tribe Called Quest parlent plus de hip-hop que de basket : leur Lyrics to go remixé est un régal pour la mémoire, et pour l’oreille.

Et puisqu’on parle de basket, l’album pèche aussi par quelques temps morts, entre deux phases de jeu intenses de part et d’autre de la vitre du studio : The Automator n’est pas toujours inspiré : son electro hyphy pour E-40 et San Quinn (Baller blockin’), est nettement moins convaincante dans le genre que celle de Dj Shadow. Il devient même quelconque lorsqu’il ralentit le jeu ; il faut alors toute la flexibilité d’un Ghostface pour repêcher tant bien que mal _2K007, ce que ni Fabulous (Ball till you fall), ni Slim Thug (I love this game), trop littéraux, ne parviennent à faire.

Mais ces chutes d’intensité n’oblitèrent pas la réussite d’ensemble de Dan The Automator presents 2K7, qui convainc surtout par sa cohérence d’ensemble, par sa capacité à traiter son thème sans lasser (presque) tout le long de ses 13 titres. Comme le disait Chuck D, donc : « Boum, boum, quatre passes et un panier ! ».