Peter Finley a touché à tout et beaucoup voyagé, du Mexique à l’Irlande qui, depuis plusieurs années maintenant, lui sert de refuge contre ses anciennes tentations. Il tire son surnom de « Dirty » Pierre d’un personnage de cartoon auquel ses copains l’ont longtemps comparé, surnom auquel il a mis un bémol : « Dirty But Clean », DBC Pierre. En 2003, il a publié Vernon God Little, Booker Prize surprise, qui lui a permis de découvrir les vertiges de la réussite après des années passées à chercher sa voie. Dans ce deuxième roman, il nous emmène loin de l’Amérique de Vernon et choisit de venir agiter les malheurs de notre côté de l’Atlantique, dans un monde assez apocalyptique où Londres, soumise au couvre-feu, vit dans le noir sous la menace permanente d’attentats terroristes ; à l’Est, les républiques de l’ancien bloc soviétique font face à la guerre, la famine et la misère. Un mélange de choix pour un conte déjanté, violent, imaginatif, parfois à l’excès.

D’un côté l’Angleterre, donc, un appartement londonien où vivent (ou plutôt survivent) Blair et Gordon (clin d’oeil appuyé à l’actuel gouvernement travailliste…), deux siamois qui ont vécu attachés durant 33 ans à Albion House, dans le nord du pays, et qu’on vient tout juste de séparer. Il faut dire qu’après les privatisations à tout va, les postes budgétaire pour la santé ne sont plus ce qu’ils étaient : on préfère donc voir les patients se débrouiller seuls, et advienne que pourra. La ville, sombre, noie dans la fête et les plaisirs faciles sa hantise du terrorisme. Les deux frères y cherchent leur voie, essayant tant bien que mal de trouver leur identité. Mais le monde qui s’ouvre à eux est plein de surprises, et Blair plonge dans les joies de la société de consommation, les illusions faciles (alcool, drogue, sexe) que la ville tentaculaire lui propose sans restriction.

Pendant ce temps, de l’autre côté, à l’Est, dans une ancienne république soviétique du Caucase, Ludmilla tue son grand père qui s’apprêtait à la violer pour la énième fois. Le vieillard sénile étant seul autorisé à signer les bons qui permettent, deux fois par mois, de s’approvisionner en pain, sa mère et sa grand-mère décident d’envoyer la jeune fille à la ville pour y trouver un emploi, avant que les routes ne soient coupées et impraticables. Les armées qui manœuvrent en permanence dans la région, pillant, tuant et rançonnant les villageois, devraient en effet bientôt être là. Ludmilla part donc en tracteur, sans abandonner son rêve : quitter le pays pour rejoindre l’Occident, consciente qu’il n’y a aucun autre moyen pour elle d’échapper à son destin. Mais les choses ne tournent jamais comme on le voudrait. Abandonnée en ville, seule, sans argent, et suite à un incroyable concours de circonstances, elle finit par se retrouver en photo sur un site Internet qui vend de jeunes épouses à de riches étrangers. Et c’est notre ami Blair qui l’achète, suivi bien entendu par un Gordon plus que sceptique dont le seul souhait est de rentrer au pays pour y grignoter du bacon.

DBC Pierre se lance dans l’examen de notre société : ses excès, ses outrances, ses nouveaux périls qui focalisent l’attention, les vicissitudes et les turpitudes de l’âme humaine. Dans une langue très créative, il invente des dialogues nourris d’expressions extraordinairement imagées. Trop, d’ailleurs : tout semble écrit pour cadrer avec cette perspective langagière outrancière. La forme au détriment du fond, en quelque sorte : le roman devient vite assez hermétique, on balance entre deux pôles sans jamais se fixer ni suivre aisément les mésaventures des différents protagonistes. Malgré ces excès, on sourit parfois. Et on regrette alors d’autant plus que DBC Pierre ne soit pas parvenu à trouver la juste mesure.