Allez-y, détestez ce disque. Ou plutôt : allez-y, adorez ce disque, tout le monde va le détester. Daft Punk est devenu cet étrange objet, à mille lieux de son premier statut d’icône hard house, qui fait tout dire et tout penser, qui fait croire aux légendes et à la manipulation ; dont le sort pourrait bien dépendre, comme celui du lac Victoria, de la malveillance (du civisme ?) d’un seul employé de Virgin, qui met le disque sur le réseau P2P et qui chamboulerait tout ; qui lance les plus folles estimations, les plus absurdes calculs (le disque est un fake, ou le disque, c’est la version boucle et teasing manigancée par Virgin, etc.) alors que le premier simple est déjà un générique télé ; qui fait tout dire et son contraire sur Daft Punk le groupe, Daft Punk le projet, Daft Punk la vision… Et puis, simplement, le disque officiel arrive et c’est rigoureusement le même que celui cent mille fois downloadé, cent mille fois gravé, cent mille fois commenté, et tout le monde devrait être déçu, puis devrait ensuite changer son fusil d’épaule. Il est simplement pas mal, cet album de house poppy.

Certes, il tourne en boucles, beaucoup. Il martèle avec peu de finesses. Il ramène des samples super grillés, des guitares heavy eighties malodorantes. Il avance tout droit, ne se tait jamais ou presque, sauf pour les moment les plus médiocres de son programme pachyderme (Make love), et semble dénué de toute envie conquérante. Quelle étrange usine à tubes et à lampes, accouchant des plus fascinantes amorces (les killah thèmes de Brainwasher, Steam machine) sans jamais les faire accoucher, sans jamais rien émulsionner mélodiquement ou rythmiques, les étirant à la verticale, de manière interminable, les figeant dans une répétitivité problématique. Un monolithisme qui fait ressembler l’album à un chantier pour remixers (on rêve déjà à ce que Basement Jaxx, Timbaland ou Oizo pourraient faire de certaines boucles) et à une machine à frustrer fabuleuse. Qui est finalement assez typique des Daft : quid des Da Funk, Musique et même One more time, boucles-autoroutes décharnées et ultra-rudimentaires, dont le caractère diabolique tenait aussi grandement à leur minimalisme housey brillant ? En outre, les boucles martelées sont bitcrushées, compressées, écrasées, de la plus belle, de la plus radicale des manières, et on est d’ores et déjà impatients d’entendre comment les tâcherons du hardbag vont copier la chose dans les mois à venir.

Ensuite, il y cette fascinante propension du groupe à user des mots pour, paradoxalement, évacuer tout discours, comme il utilise des non-mots pour faire jaser. Jamais depuis Kraftwerk les mots n’avaient été effectivement vidés à ce point de toute sémantique -standardisés en slogans, vocodérisés, mutés en basslines, les mots chez les Daft deviennent pure altérité sonique et rythmique, pure intonation. Pour le reste, c’est discours cryptique fastoche et évidemment ambigu sur notre contemporain (un petit logo Daft Punk dans la télé, un brin fascisant, pour « contrôler la nation »), et ce n’est pas cohérent (on va certainement les conspuer pour ça), voire proprement inconsistant. Chaque parcelle de pseudo-commentaire est même tellement vidée de toute profondeur (Technologic, énième redite débile du Computer world de Kaftwerk) qu’on finit par croire que les décérébrés, les victimes du brainwasher, ce sont bien Homem-Christo et Bangalter eux-mêmes. Jouer aux idiots, c’est pourtant ce qu’il y avait de plus malin à faire, évidemment. Avec toutes ses contradictions, sa manière de jouer au disque à tubes raté, de rester à la surface, Human after all est donc un disque idiot qui rend heureux. A défaut d’être le plus punk, certainement le plus daft des Daft Punk.