Suite à un opus qui avait fait jaser les milieux prétendument authentiques d’un hip-hop en fait sclérosé sur la pertinence d’une copulation hip-hop/métal bruyant, Cypress Hill rempile avec un album nouvellement chargé en saturations, sans pour autant dévier de ses impeccables lignes mélodiques. Free your mind et bouge ta tête ! Nonobstant le déchaînement critique qui avait accompagné la sortie d’un Skulls & bones qui avait pourtant pris garde de séparer ses deux sources -rap et métal- sur deux CD distincts, Muggs et sa bande de fumeurs incorrigibles vomissent ici sur un seul disque un fin alliage de ces tendances supposées contraires. Et ce mélange des genres qui sort des baffles avec la fluidité et la puissance d’un nuage de fumée après le Bang fatal, mérite bien mieux que la triste étiquette de « caprice d’adolescents façon RATM », que lui a collé d’entrée une presse hip-hop un rien conformiste.

La joyeuse hérésie, donc, débute par une courte intro habillée de guitares électriques et bardée de scintillements de cymbales, indices qui écartent d’entrée tout questionnement quant à la nature de l’enregistrement : batteurs et guitaristes pointent leur nez. Et puis, judicieusement placé en début d’album, le refrain violemment saturé de Trouble arrive à point pour faire fuir tous ceux pour qui l’intro, la première note ou la première impression tiennent lieu de vérité. Car si ce premier titre (d)étonne, avec sa rythmique entre jungle douce et hip-hop sévère soutenue par divers hurlements, le reste de l’album laisse s’interpénétrer tendances rock et hip-hop sans jamais tomber dans les poncifs de l’un ou l’autre style, pour jeter à la face du monde un hip-hop luxueux saupoudré de sursauts électriques. On restera donc jusqu’à la fin de l’album en compagnie de ceux qui auront cerné l’évolution de la chose et sauront apprécier ce savoir-faire capable de relier Korn à Dr DRE et les Deftones à Mobb Deep. Car le rock tendance hardcore, traditionnellement vécu dans le milieu hip-hop comme une musique pour débiles légers, pour nostalgiques déphasés qui cherchent encore à faire jaillir de leur pauvres grattes les effluves d’antan, prend entre les doigts de Muggs un tour nouveau, tranquillement suspendu entre riffs ténébreux, ambiances lugubres et beats cassants.

Et n’en déplaise à ceux qui se disent choqués par le mélange, Stoned raiders s’emboîte sans accrocs dans la discographie du groupe. Car il faut bien reconnaître qu’entre 1991 et 2002, aucun album des furieux californiens n’est tombé à côté de la plaque, en dépit d’incursions constantes dans des domaines musicaux variés (on se souvient d’un album en espagnol ou des duos avec Sonic Youth et Pearl Jam sur la B.O. de Judgement night…). Parvenant à allier la rage du hip-hop à l’énergie scénique d’un rock tendance dure, tissant des ponts entre les publics et les tendances, Cypress Hill n’a jamais dévié de ce son unique, à la fois dense et lisse, glauque et trépidant qui a fait sa réputation. A ce titre, couronnant une carrière d’une longévité rare dans le milieu, s’échappent en vrac de Kronologik des « Chilli’n with the Beastie Boys/smoking lots of weed », saupoudrés de samples évocateurs (le hennissement mythique d’Insane in the brain, entre autres), et autres vapeurs surgies de Black Sunday, première pierre d’un édifice aujourd’hui incontournable.

Subtil mélange de musique live et de sampling, Stoned raiders est le fruit d’une collaboration qui prend toute sa dimension sur It ain’t easy, habile synthèse de picotements violoneux et de rythmiques dures (Eric Bobo à la batterie), habillés d’un bourdonnement de guitare (Lozano) qui, évitant la surenchère, ne cesse jamais sa progression pour imprimer à ce titre une tonalité lancinante et oppressante. On retiendra aussi Red, Meth & B, réunion au sommet de Method Man, Redman et B-Real qui balancent leurs flows aiguisés sur des réminiscences synthétiques façon West Coast. Et, si l’on excepte un Catasptrophe plutôt facile, tenu par un riff de guitare en forme de cliché hardcore éculé, Stoned raiders ne dément pas la réputation du groupe.

On est ravis. La machine Cypress étripe les styles pour en faire surgir les bouts de vibrations nécessaires à l’atmosphère générale de cette pièce syncrétique particulièrement réussie. Empruntant au rock hardcore la puissance noire de ses guitares saturées et au hip-hop ses syncopes et ses synthés acides, Sen Dog, Muggs, Bobo et B-Real ont su piocher à travers leur -large- patrimoine musical, les notes nécessaires à la libération de leurs idées résolument glauques, sombres et belles. Free hip-hop !