Bien que la France ne fasse pas vraiment figure de terre d’accueil dans l’histoire du jazz-rock de la période héroïque, elle peut tout de même s’enorgueillir d’avoir été le berceau de quelques formations d’assez joli niveau, parmi lesquelles Cortex fait figure de légende. Fondé au milieu des années 1970 par le pianiste Alain Mion et le batteur Alain Gandolfi, noyau dur autour duquel ont gravité le bassiste Jean Grevet et quelques choristes (dont l’une au moins a été, simultanément, chanteuse chez Claude François, ce qui occasionnait son indisponibilité systématique lors des nombreuses tournées de ce dernier), il a marqué l’époque avec un premier album intitulé Troupeau bleu, sorte de version fraîche et francisée des aventures électriques dans lesquelles s’étaient lancées, de l’autre côté de l’Atlantique, les rejetons du Miles Davis de Bitches brew (Zawinul et les Weather Report, Chick Corea et son Return to Forever et, surtout, les Headhunters de Herbie Hancock), et de l’autre côté de la Manche, les émules du rock jazzeux façon Caravan, Nucleus et consorts, le tout avec une patte locale tout à fait sympathique. A l’époque, l’album s’était arraché à plus de 7 000 exemplaires. Dans les années 1990, la vague grossissante du groove et le revival du son seventies a occasionné sa redécouverte à travers toutes sortes de compilations, jusqu’à une réédition à succès et, accessoirement, un procès contre Bob Sinclar (qui avait indélicatement emprunté une séquence à Cortex, jugée longuette au regard de la loi, et sanctionnée en conséquence sur demande d’Alain Mion). Après cinq ans d’activité, un deuxième album curieusement intitulé Volume 2 et quelques singles, le groupe se sépare, non sans qu’Alain & Alain enregistrent en duo et à la maison (« une ancienne ferme dans le sud de la Seine et Marne », confesse Mion) un dernier disque jamais publié, aujourd’hui tiré de l’oubli sous le titre Inédit 79. La liste des instruments utilisés fera saliver tous les amateurs de quincailleries vintage : outre la batterie Orange de Gandolfi, qui assure aussi tous les choeurs, on entendra un Rhodes authentique, l’inévitable Wurlitzer, un orgue Hammond, un Solina String Ensemble, un Yamaha CP-70, toute la gamme Moog ou presque, un Prophet et quelques autres reliques sacrées propres à conférer à l’album le son si particulier de l’époque. Côté musique, on oscille entre le Hancock de Man-child et le dernier Soft Machine (celui de Alive & well, par exemple), le tout en version allégée et ludique (Cortex, contrairement à ce que semble indiquer son nom, n’a jamais joué la carte de l’intellectualisme : le cortex reste la partie du cerveau sensible aux sensations externes), avec des choeurs cheap mais imparables et une pointe d’épices brésiliennes qui évoque irrésistiblement les succès transatlantiques du trio Azymuth, exactement à la même époque (voir le fabuleux Live at the Copacabana Palace, réédité voici quelques années, et capé à Rio en mars 1979). Après cet ultime enregistrement, Cortex se dissoudra, le premier Alain (Gandolfi) part faire de la prise de son, l’autre (Mion) abandonne l’électrique et revient à ses amours acoustiques originelles. Les bandes, elles, restent dans les cartons. Cette renaissance devrait leur valoir un joli succès. Nostalgie, quand tu nous tiens.