Une note bleue de piano, martelée, avec violence. Une petite harmonie marmonnée, quelques accords de bossa grattés de manière aléatoire, puis un petit cri informatique, une nanoseconde de bruit blanc, une cymbale, un oiseau, un bug dans la mécanique huilée d’une pop céleste. Keigo Oyamada, alias Cornelius, ouvre son nouveau Point avec un manifeste.

Son précédent Fantasma suivait le principe de l’accumulation, ce nouvel opus suit celui plus original de la fragmentation. C’est donc toujours de pop qu’il s’agit, mais une pop éventrée et dépecée, dont les différents éléments sont dispatchés au hasard parmi les divers composants d’un gigantesque disque dur. Ils se regardent les unes les autres, ne se rencontrent que de manière intermittente, provoquant alors des accidents de mélodie ou de rythme. De minuscules gouttes d’un élixir pop, à peine perceptible mais qu’on devine sublime, perlent aux jointures de ces blocs de chansons discontinus, après leurs frottements répétés, et pendant de courts instants, des parcelles d’Eden mélodique apparaissent avant de rejoindre le néant et le silence.

Toujours à la recherche de la pierre philosophale pop, Cornelius pond donc un objet hautement expérimental, en suivant ce nouveau principe de composition excitant, mais malheureusement aussi un peu agaçant à la longue, tout simplement parce qu’Oyamada n’arrive pas à le sublimer ou à le faire oublier. Cette déconstruction de la syntaxe pop a en outre parfois des allures crâneuses, et peine à cacher des faiblesses de songwriting évidentes.

Heureusement, le voyage est mouvementé : tension à l’extrême sur Point of view point, fascinant jeu de Lego de notes et de mots qui donne le tournis, folk aquatique et refrain de rêve sur Drop, ébouriffant cut-up speed-metal mélodique sur I hate hate, et final orgasmique psyché-noise sur Nowhere… Mais il y a aussi les presque impardonnables fautes de goût : la reprise du mythique Aquarela do Brazil titrée Brazil fredonnée au vocoder, ou le funk balourd d’Another view point reflètent une vacuité de fond que la forme (sequencing et production virtuoses) n’arrive plus à cacher. Et puis il y a les travers mélodiques, les sempiternelles accumulations de voix qui suggère la mélodie sans jamais la faire accoucher. Pour tout ça, Point déçoit. Pour tout les reste, Point enthousiasme, bluffe, étonne. Selon les jours, le verre est à moitié rempli ou à moitié plein. Mais c’est la frustration d’être passé à côté d’un chef -d’oeuvre historique qui l’emporte. Rageant.