Après deux premiers album d’électronique ambient, The Golden morning breaks et Everyone alive wants answer, qui auraient pu la faire passer pour une petite soeur versatile et vaporeuse d’Anne Laplatine, et un album, Colleen et les boites à musique, où elle explorait plus avant la répétition minimale et circulaire de mélodies mécaniques, par l’usage d’effets électroniques (et les boites à musique ne sont-elles pas les petites précurseurs de la musique mécanisée, électronique ?), Cécile Schott aka Colleen en finit pour cette fois avec les machines et la répétition, sur un nouvel album mélodique et organique, où elle explore en même temps qu’elle l’apprend la profondeur et les harmoniques d’instruments anciens et d’obédiences classiques : la viole de Gambe en premier lieu, instrument de la musique baroque, de Marin Marais, Sainte Colombe, Purcell ou Jean-Pierre Marielle (dans le film Tous les matins du monde, qui ne vaut pas son origine littéraire, par Pascal Quignard, mais qui eut l’intérêt de donner à entendre et de réhabiliter cette musique, belle entre toutes). A celle-ci s’ajoutent clavecin, clarinette, guitare acoustique et verres en cristal, qui fomentent une musique que l’on dirait tellement anachronique qu’elle en devient intemporelle.

Musique baroque imaginaire, ou baroque contemporaine, ou baroque pop, si cela est possible, ces Ondes silencieuses furent composées comme composerait un songwriter armé d’une guitare, par l’improvisation, la recherche d’accords parfaits, le tâtonnement de la mélodie. Les structures des morceaux ne ressemblent pas à celles d’un morceau pop pour autant, mais bien aux dérives lancinantes d’un feu qui couve sous l’eau tranquille, d’un mois d’août à Paris vidé de ses habitants, dont ne subsistent que les traces, les souvenirs, ou les fantômes (essayez d’écouter au casque en marchant dans la rue). Souvent, les notes de musique sont ici détachées précisément et jouées unes à unes, entourées de chaque côté, avant et après leur apparition, par le silence. Et de fait, Colleen laisse filer le temps de la note, son étirement, puis son écho, dans une réverbération, dans la profondeur d’une pièce ou d’un grenier, jusqu’à sa disparition dans le silence. Et l’on continue de l’écouter quand bien même celle-ci s’est définitivement éteinte depuis longtemps. En ce sens, on entend bien des Ondes silencieuses, le fantôme de la note qui vient de mourir, le projet d’une note qui va bientôt naître. Eaux calmes ou vagues sonores (« waves »), ces eaux là, par définition, ne dorment jamais totalement.

Enregistrés on air par Cécile Schott et Emiliano Torres, ces morceaux à la mélancolie purement instrumentale vibrent naturellement dans l’espace du caisson et de la pièce, rappelant ci Moondog, là Joanna Newsom, pour rester dans les items pop, sinon Marais et Sainte Colombe, mais n’appartiennent à personne ni à aucune époque, tant ils sont transfrontaliers, nichant leur corps dans le vide hospitalier, leur matière dans la vague fluctuante, entre le bord et le fond, la rive et le gouffre, le plein et le rien.