Bernstein n’a pas fondé sa réputation de chef sur Debussy. Loin s’en faut. Ce serait plutôt Mahler s’il fallait donner un nom là, tout de suite. C’est donc avec surprise et envie que ce disque est arrivé entre nos mains. Parmi la masse de rééditions d’enregistrements du chef avec le Philharmonique de New York, celui-ci nous a semblé le moins évident. Tout simplement parce que son tempérament ne semblait pas coller avec la musique de Debussy. Grave erreur. Ses enregistrements datent du début des années 60. Bernstein n’a pas encore livré ses grands disques (ah ! Mahler). Pourquoi n’a-t-il que si peu enregistré Debussy ou les Français en général ? Certes, il y a bien la Symphonie en ré mineur de Franck avec l’Orchestre National de France et le 4e Concerto pour piano de Saint-Saëns avec Casadesus. Mais Ravel, nenni.

Cet art orchestral lui semblait-il de piètre qualité ? Certainement pas. Ecoutons ses propres compositions pour voir à quel point il a pu être influencé par les « impressionnistes » du début du siècle. Ravel ou un des plus grands orchestrateurs (avec Stravinsky et Bartok) du XXe siècle. On peut simplement imaginer qu’il ne voyait pas grand chose à dire de plus à ce qu’avaient déjà livré Charles Munch et Pierre Monteux (puis Boulez) dans ce répertoire. Il faut donc prendre ce disque comme un essai, un désir de se confronter aux grands, avant que lui-même ne le devienne.
Car Debussy est un piège pour les chefs. Entre le désir de pratiquer le flou artistique et de respecter scrupuleusement une partition si riche, la synthèse est dure à envisager. Comment appréhender ces trois Sketches symphoniques que forme La Mer ? Ou comment Debussy se détache-t-il à la fois de la symphonie et du poème symphonique et transcende la querelle des romantiques. Sa musique est résolument moderne. Rien à faire, le temps, le mouvement sont bien les problématiques de ces partitions. Prenons aussi le Prélude à l’après-midi d’un faune. Premier chef-d’œuvre et portail à la musique du XXe siècle. Et du XXIe siècle certainement. Debussy a tout bonnement inventé le langage musical de l’avenir. On n’a pas fini de l’explorer. Comme pour Mallarmé en somme ! Voici donc réuni quatre chef-d’œuvres sur un même disque.

Disons-le d’emblée, Bernstein ne renouvelle pas l’approche de cette musique. Ce ne sont pas des versions de référence trop longtemps oubliées. Non, Bernstein, porté par un orchestre dont il a été chef de 1958 à 1969 (avant, excusez du peu, Mahler, Mengelberg, Toscanini, Barbirolli, Rodzinski, Stokowksi, Mitropoulos, Walter), se place dans une optique très concrète. Clarté des lignes, des timbres, tempi rapides et enlevés. Aucun effet déplacé, de brumes symbolistes, de touches impressionnistes. Non du précis, du rigoureux avant tout. Ce qui bien sûr, au regard de certaines versions, manque un peu de saveur. Mais n’exagérons pas. Bernstein est un des plus grands du siècle. Cette musique retrouve avec lui tout ce qu’elle peut avoir de sensible, de visionnaire et dieu sait que c’est important. Ajoutons que le disque est en collection économique, alors il n’y a plus à hésiter.