C’est en 2003, lorsqu’il rencontre la harpiste suisse Giovanna Pessi (il avait déjà expérimenté la combinaison de la harpe et du piano dans une série de concerts donnés trois ans plus tôt avec Iro Haarla), que Christian Wallumrod a eu l’idée de ce sextet dont la présentation, sans doute, paraîtra atypique, pour ne pas dire exotique, à l’amateur de jazz : piano, donc, harpe baroque, violon (Gjermund Larsen), violoncelle (Tanja Orning), percussions (Per Oddvar Johansen) et trompette (Arve Henriksen, nom qui parle davantage à l’amateur en question que les précédents, sans doute). De fait, on pourrait contester la légitimité qu’il y a à parler de Zoo is far dans des colonnes consacrées au jazz : si un certain nombre d’éléments familiers au jazzfan ne sont pas totalement absents de l’entreprise menée par Wallumrod (le jeu sur les timbres, l’ouverture à d’autres musiques, une manière de liberté consciente qui, quoi qu’on en dise, relève bel et bien du jazz – sinon de sa lettre, en tous cas de son esprit), c’est tout de même l’influence de Purcell qui saute aux oreilles plutôt que celle de Duke Ellington ou de John Coltrane. N’importe : que le jazzfan ne soit pas le seul à pouvoir trouver de l’intérêt à un disque ne signifie pas qu’il n’en pourra trouver aucun. De fait, l’extrême richesse de la musique conçue par le pianiste norvégien a de quoi séduire : minimaliste, volontairement dépouillée, proche de la musique contemporaine par de nombreux aspects, elle puise dans le baroque (l’une des premières sources d’influence du disque est la série des Fantaisies pour cordes de Purcell, dûment décortiquées et, le cas échéant, réutilisées, par Wallumrod), dans les musiques du monde (Music for a cat, apprend-on dans les liner notes, est inspiré par le chanteur pakistanais Ghazal Medhi Hassan), dans la musique religieuse, dans les musiques traditionnelles (« J’ai trouvé naturel de m’inscrire dans la tradition des psaumes norvégiens, qui possède des caractéristiques idiomatiques issues du mélange entre les chorales luthériennes et les chansons folkloriques », explique Wallumrod à propos de Psalm Kvaen, une pièce interprétée dans plusieurs formats à différents endroits du disque). Déconcertant, insituable, parsemé de références et d’indices détournés, très construit et écrit (là, sans doute, se tient la dimension qui l’éloigne le plus du jazz), le travail de Wallumrod, profondément original, a pour première qualité de ne ressembler à rien de connu. Les impatients lui reprocheront sans doute sa lenteur ; les autres rétorqueront qu’il s’agit plutôt de majesté. Lorsqu’on a pris le rythme et qu’on s’est installé dans le cadre proposé, on ne regrette pas le voyage.