Issu de la constellation Clapping Music/Active Suspension, le quatuor Centenaire regroupe Damien Mingus (My Jazzy Child), Aurélien Potier, Orval Carlos Sibelius et Stéphane Laporte (Domotic). Le groupe s’est fait connaître par ses fameux « concerts en appartements », où il joue avec sa propre amplification (le micro voix passe dans la chambre du clavier, ce genre de truc) devant un public limité et forcément attentif (pas de bruits de vaisselle en arrière plan). Les concerts en appartements ont été l’écrin idéal pour la musique discrète et volatile de Centenaire, qui fonctionne comme un murmure vibratile dans l’intimité d’un lieu clos et d’un moment privilégié (Canal + a même essayé d’en faire une mode pour bobos, voir ici le résumé. De fait, on pouvait y voir une volonté de restaurer l’expérience intime du concert de troubadours dans les cours européennes du Moyen Age, la défense de la performance live comme moyen d’expression privilégié de l’artiste (à une époque de surconsommation et de surproduction de la musique enregistrée et compressée), ou la tentative de réhabilitation de l' »aura » propre au moment authentique (le « ici et maintenant ») de l’oeuvre d’art avant sa reproduction mécanisée.

Toutefois, Centenaire n’est pas allé jusqu’à éviter le moment de la fixation de ses chansons sur support écoutable, et elles font aujourd’hui l’objet d’un beau CD enrobé de papier cartonné, quand bien même elles ont été enregistrées live, « dans une maison à la campagne, installé sur un beau tapis devant une belle cheminée ». Des prises de son « naturalistes » (par Emiliano Flores et Miguel Constantino) et un mastering discret ont permis de restituer les impressions de proximité et d’intimité qui caractérisaient les concerts, le tout rendu encore plus tactile par la récurrence dans les lyrics de références aux vêtements (robes) et aux insectes, que l’on sent presque affleurer à même nos peaux… Monstres, châteaux forts, rois et reines, animaux sauvages, combats chevaleresques in media res, achèvent de dessiner un univers médiéval mais modernisé, atemporel finalement, entre musique baroque, comptines troubadouresques, post-rock, école de Canterbury, folk et folklore. La chanson The Day before pourrait ainsi servir de déclaration d’intention à Centenaire (« I went back / and played with the past / i changed a few things here and there / can’t you tell ? can’t you tell ? »), qui retourne dans le passé musical et y importe son présent pour le modifier.

Ni trop hippie, ni musicologue hermétique, entre rituels primitifs, magie blanche et narrations médiévales, Centenaire est donc une belle balade dans un univers musical principalement acoustique, fait de charango, de guitares, de violoncelle, de clarinette, de mélodica, de claviers, de xylophone, de percussions et de voix bien sûr. Celle, enfantine par bien des aspects, de Damien Mingus, rencontre parfois celle de Orval Carlos Sibelius, et les contes se transforment alors en dialogues de mythologies païennes, sur fond de tapisserie de Bayeux ou du Perceval de Rohmer. De longues et belles plages instrumentales rappellent Mark Hollis, Van Morrisson, Penguin Café Orchestra, Nick Drake, Leonard Cohen, Slint, Motown ou This Heat, cités en influences. On y ajoutera l’école progressive de Canterbury (Robert Wyatt, Daevid Allen, Hugh Hopper, etc.), les chansons chrétiennes de Sufjan Stevens ou les livres (en)chantés de Joann Newsom. Mais Centenaire, virtuose et vibrionnant, est bien un groupe unique entre tous.