Le nouvel album de Broadcast commence par la comptine légèrement bruitée de Color me in : « I’ll always be here if you want to color me in », énonçant gentiment l’idée que la chanson peut attendre, un jour, un an, dix ans, avant d’être imprégnée, imprimée par l’imagination de son auditeur. Belle idée que de faire parler la chanson, le disque, avant ses auteurs, comme si l’objet lui-même était doué de vie, et de conscience. Comme si l’art était premier, avant l’artiste. Tout Haha sound est ainsi comme tendrement en retrait, discrètement au chevet (traversé de lullabies et autres nursery rhymes), mais aussi extrêmement talentueux et inspiré. Les mélodies ont la grâce, tout l’album est fluide et harmonieux, les arrangements se mélangent agréablement et évidemment : ce disque est doux et beau et en stéréo (une utilisation sensible et spirituelle de la stéréo -un peu comme Jean Luc Godard l’a décrite).

Après deux albums têtes chercheuses (Work and non work, The Noise made by people), il semble que ce troisième essai ait bien touché son coeur de cible, son idéal artistique : faire coïncider, en une belle synchronicité psychédélique, la beauté plastique du meilleur des 60’s (United States of America, Joe Meek, Raymond Scott, Bruce Haack, le Krautrock) et les textures futuristes de la génération laptop-grm tools (avec une pincée d’indie-rock, de My Bloody Valentine à Stereolab et Pram), pour un mariage harmonieux de grains et d’époques. Simplicité mélodique et complexité sonore, un peu de mélodie dans un monde de bruits, douce féminité et turbulences garçonnes, les sentiments mêlés de Haha sound sont aussi ceux d’un trio complémentaire et accompli.

De Pendulum, kraut-single aux lyrics sonicboomiens, à Valerie, délicatesse un peu Syd Barrett, un peu Everly Brothers (période Take a message to Mary), en passant par le bien nommé Distorsion sous influence Sun Ra, ou le battement de coeur en suspens de Little bell, c’est non seulement une rencontre parfaite entre le son et le sens, mais qui se prolonge aussi dans l’imaginaire et se ramifie bien souvent en purs moments de poésie (la fin de Little bell, par exemple : « My wooden clock it breaks my heart to see you stop »). Ainsi Broadcast est-il non seulement un groupe de producteurs, mais aussi de songwriters. Qualité assez rare pour être ici portée aux nues. Le meilleur album du groupe à ce jour et un des plus beaux albums de pop jamais enregistré. Rien de moins.