« Les chansons de La France sont une tentative de synthèse de la pop-sike anglaise (nerveuse, acide, rapide, comptine victorienne pervertie par l’arrogance) et de la sunshine pop californienne (solaire, éthérée, lente, horizontale, angélisme vocal alangui par la drogue), mais une synthèse enfouie, car les instruments et les conditions d’enregistrement n’ont rien à voir avec le matériel électrique en jeu (dans les deux genres cités) : ni basse, ni guitare, ni batterie, ni orgue… Les acteurs ont joué en direct et dans la nature, comme les poilus de 1917, sur des instruments acoustiques de fortune fabriqués, comme en 1917, à partir de matériaux de récupération (seau à charbon, boîte de conserve de cornichons) : guitare « charbonnière », « cornichophone » , violon carré , épinette des Vosges, etc. ». (Serge Bozon – lire notre entretien). Après le garage dans Mods, la folk dans L’Etoile violette, pop naturaliste et envolées d’harmonies composent la B.O. du film La France, toute ruptures et légèreté, excentrique et excentrée.

L’inspiration pop-sike est ici représentée par John Pantry, illustre producteur inconnu des 60’s, ingénieur du son des studios londoniens IBC, ayant travaillé entre autres sur les trois premiers albums des Bee Gees, l’homme derrière flopée de hits mineurs beatlesien et lewis-carrollien en 1966-67. La B.O. contient plusieurs démos de Pantry, une chanson des Kinsmen, et Little girl lost and found de Peter and the Wolves qu’il a produit. Le talentueux Fugu (Mehdi Zannad) qui a mis en musique des textes de Bozon pour le film représente le versant sunshine (harmonies vocales, chants flûtés, structures étagères), avec le Gospel lane de Robbie Curtice et Tom Payne, qui irrigue en madeleines proustiennes (il sert de base mélodique aux chansons de Fugu) et clôt le film (pendant le générique). La présence de démos (sans moyens ni effets) et l’enregistrement  » naturel « , avec des instruments de fortune, semblent illustrer une volonté de re-authenticiser la pop, par nature objet inauthentique (car produit de studio, depuis Sergeant Pepper’s lonely hearts club band).

De fait, la troupe (le groupe) de déserteurs (de musiciens) de La France peut être vu comme une fanfare de cœurs solitaires (ils portent l’uniforme, comme les Beatles), errants dans les campagne et les marges d’une guerre qu’ils ont déserté. Comme dans un Dead man à l’envers (permanence de la couleur bleue, l’eau comme fil conducteur, jusqu’à un désert de cendres), ces hommes pourraient aussi bien venir de l’Atlantide et en auraient de vagues réminiscences, ensommeillées (ils dorment beaucoup, ils rêvent beaucoup), mais réactivées par le chant et l’amitié. L’enfouissement de la pop de John Pantry dont parle Bozon renvoie donc à ce paradis perdu, et la marche dans les bas côtés et l’obscurité d’une France invisible, à une société secrète, intemporelle et sans territoire, métaphore. Parfois, ils ressemblent à des fantômes qui guident Sylvie Testud, ou des projections de son imaginaire (comme si elle était seule : ils chantent des chansons de femmes, chantées par des femmes, et dont elle semble être le seul auditoire). Ils incarnent en un sens le groupe pop, en tournée, « tour magique et mystérieux », qui a pris la mesure de la Terre comme sphère, et tourne, sans début ni fin, origine ni arrivée. Tour de chant (chacun chante chacun son tour) et ritournelle (éternel retour de la mélodie), les derviches pop, nomades, expropriés et prenant acte de leur expropriation (la désertion signifie aussi la perte de leur nationalité, de leur identité), soudés par l’amitié (« L’amitié est l’autre nom du tour » – Pacôme Thiellement), sont bien des paradigmes pop (la pop inventée par les Beatles, relancée par les Residents). Film pop, B.O.F. pop, donc, mais une pop troublée (comme l’eau, le paysage, les protagonistes), paupérisée (par la guerre), enfouie belle et bien.