Ce combo new-yorkais débarque chez Fat-Cat précédé d’une sulfureuse (donc terriblement tendance) réputation. Affiliés au tandem magique DFA (qui sort leur opus aux USA), Black Dice partage donc souvent l’affiche et la hype avec les récipiendaires du renouveau rock made in NYC. C’est un fait assez étrange, dans la mesure où la musique pratiquée par le quatuor n’a rien de tendance, rien de rock, rien de proprement new-yorkais non plus. D’ores et déjà, il y a erreur sur la marchandise, donc, ce qui fera probablement dire aux champions du postpunkfunk que Black Dice, c’est justement de la hype montée à partir de rien -à savoir quelques concerts dévastés de quelques minutes à peine, de déflagrations de bruit blanc sans abscisse ni ordonnée, parfois sommairement résumées sur des mini albums cradingues (sur DFA et Tigerbeat6, notamment).

Pourtant, la marchandise de Black Dice, justement, vaut bien mieux que les petits mouvements d’air provoqués par le bouche à oreille de quelques concerts auxquels personne n’a vraiment assisté. Ce groupe venu de nulle part produit en fait un musique improvisée très libre, très primitive et très étonnante, qui ne fait pas songer à grand-chose de connu. Longues diarrhées ambient, feedbacks en pagaille, montées sanguines et choeurs de hurlements flottants constituent le corps de ces échappées pas vraiment belles, sans centre d’attraction précis, dont on peine réellement à trouver les filiations. Certains citerons sûrement les improvisations psychédéliques et décentrées de Acid Mother Temple, des anglais de Volcano The Bear ou des comparses new-yorkais de White Out, mais le fait est que Beaches and canyons ne ressemble réellement à rien de tout ça : plus basique, plus simple, moins intellectuelle, la musique de Black Dice est expérimentale sans être avant-gardiste, détruite sans être déconstruite, étrange mais nettement moins pensée que celle de ses comparses.

Peut être fantasme-t-on, mais on a l’impression que ces new-yorkais n’ont jamais entendu parler du free jazz, de la musique improvisée des sixties, du minimalisme ou même du free rock. Leur musique, dont les penchants expérimentaux et les sonorités électroniques mal maîtrisées semblent terriblement naïfs, en ressort blanchie de toute intention précise, de toute démarche mûrie. Elle en ressort plus intéressante également, comme habitée d’un primitivisme unique, traversée qu’elle est de ressorts tribaux, répétitifs, mal assortis et presque incantatoires. Parfois, l’utilisation d’une flûte ou de percussions étranges amène même des inflexions franchement étrangères à la musique occidentale. Autant dire que tout cela est intrigant, parfois passionnant même, et terriblement excitant quand une longue mélopée devient effusion apocalyptique (ce qui arrive tout de même en fin de disque, pendant le bien nommé Big drop), un peu à la manière de ce que donnait à entendre Hermann Nitsch pendant ses cérémonies de destruction dans le Vienne des années 60. Bref, si on peine à deviner le pourquoi des filiations rock de ce combo zarbi, on est heureux de les voir débarquer au sein de l’internationale des musiques tordues.