La musique de chambre des compositeurs de la Seconde Ecole de Vienne constitue le pendant naturel de celle des premiers Viennois, Haydn, Mozart, Beethoven et Schubert. Il n’y a donc pas de témoignage plus évident de l’attache des Schönberg, Berg, Webern aux grands maîtres classiques. En outre, le quatuor à cordes se présente comme le genre musical le plus adéquat pour concilier tradition et modernité. En effet, il leur fournit un cadre formel défini, cadre dont ils tirent toutes les conséquences et auquel ils appliquent leurs principes compositionnels : la variation et l’atonalité, puis le sérialisme. Enfin, et c’est le plus important, au regard de leurs autres compostions, ils sont parvenus ici à une intensité d’émotion à peu près unique, utilisant toutes les ressources expressives de leur nouveau langage.

Ainsi en est-il de la Suite lyrique, journal intime d’Alban Berg mais aussi hommage aux plus grands, de Haydn à Wagner en passant par Beethoven. On aurait cependant tort de se contenter de ce seul aspect. Certes le sens de l’œuvre s’en trouve éclairé. Mais, la Suite lyrique offre un monde sonore riche en couleurs et en rebondissements, à l’instar d’un drame musical. Aussi cette partition reste-t-elle depuis sa création, l’une des plus grandes compositions du XXe siècle. Son Quatuor op. 3 nous montre déjà avec quels talents un jeune homme d’une vingtaine d’années, encore élève de Schönberg, peut, en respectant ses aînés, écrire une musique étonnamment neuve, toujours jeune.
Anton Webern a également laissé un corpus important de quatuors à cordes ou du moins de mouvements de quatuors. Car Webern se refuse à faire long. Cette économie d’expression est pourtant trompeuse. Il n’y a qu’à se plonger dans une quelconque de ses partitions. La précision des indications -timbres, dynamiques, rythmes, attaques- donne à sa musique une allure unique, un souffle puissant. Webern est sans aucun doute celui qui, encore aujourd’hui, donne un sens au verbe « écouter ». C’est d’ailleurs bien à cela que nous invitent les Prazak.

On commence à bien connaître cette formation qui, il y a peu encore, livrait de magistraux Quatuors de Beethoven. L’univers des seconds viennois ne leur est pas pour autant inconnu puisqu’ils avaient déjà enregistré à leurs débuts la Suite lyrique. Les qualités de leur interprétation sont innombrables : souplesse, rigueur, dépouillement, souci formel mais aussi ampleur de conception, équilibre des timbres, bref tout ce qui fait la perfection d’un quatuor. Jamais, depuis les Berg peut-être, quatre instrumentistes ne sont parvenus à réunir ainsi tempéraments personnels et vision commune. Ce sont eux qui servent le mieux actuellement ce répertoire, avec fidélité et engagement. On ajoutera enfin qu’ils nous permettent de découvrir une version inédite avec voix, sur des vers de Baudelaire traduits par Stefan George, du dernier mouvement de la Suite lyrique. Une marque de plus de la parfaite compréhension d’une musique qui en a besoin.

Quatuor Prazak, Vanda Tabery (soprano. Enregistré à Prague en novembre 1999 et octobre 2000.