Dialogue libre entre un pianiste et l’orchestre. Deux solistes s’opposent et se séduisent dans une forme qui s’affranchit constamment des obligations esthétiques du XVIIIe siècle : voilà le croquis de la nouveauté beethovennienne. Les premier et troisième concertos ont été composés dans une période assez courte. Beethoven a trente ans et il a déjà réussi à s’imposer comme pianiste virtuose. Sa notoriété viennoise est grandissante. Le premier concerto (d’ailleurs réellement composé après le deuxième et plus développé que lui) doit beaucoup à son maître Joseph Haydn : vigueur rythmique, teintée d’humour. Il reste encore, malgré toutes ses qualités et son charme, dans l’esprit de la musique telle qu’on la concevait au XVIIIe. Il en va tout autrement du troisième. Sa création, le 5 avril 1803, est un grand concert : première audition de l’oratorio « le Christ au mont des Oliviers » et de la deuxième symphonie. Beethoven est dans la salle et c’est un tout autre homme qu’en avril 1800, à la création du premier concerto. Il a compris qu’il devient sourd (en témoigne le fameux testament d’Heilligenstadt où il décrit ses tentations suicidaires), et ne peut plus se produire en tant que soliste.

Il a proposé à l’un de ses jeunes élèves -Ferdinand Ries- de créer ce nouveau concerto. A la dernière minute, Ries change la cadence qui conclut le premier mouvement. Fureur du maître qui montre, contre les anciennes traditions de compositions, une nouvelle façon de concevoir l’interprète. Ries était là pour exécuter le concerto et n’avait plus le droit d’improviser librement sur les thèmes de Beethoven. Il ne reverra plus son élève, et dorénavant les compositeurs écriront en toutes notes leurs cadences. Fidèle à la tradition, Jean-Claude Pennetier respecte les vœux beethovenniens.

On a déjà beaucoup écrit dans ces colonnes sur ce pianiste inclassable. A cause de son engagement continu pour la musique d’aujourd’hui, de ses visions de compositeur atypique, de ses qualités rares d’instrumentiste, il se place haut dans le panthéon des musiciens contemporains. Faut-il rappeler la beauté de sa sonorité dans Schubert, la lucidité de son discours dans Debussy ? Parmi les quelques nouveautés de sa discographie, déjà riche en monuments du répertoire telle la dernière sonate de Schubert ou le quintette de Brahms, le voici aux prises avec Beethoven et des œuvres énormément jouées, enregistrées et banalisées. Malheureusement l’énormité de cette musique aurait mérité une formation plus à sa hauteur. Serge Baudo, musicien très respectable, qui a longtemps fait travailler l’orchestre national de Lyon ne peut convaincre avec une formation en petite forme, décousue, sans nervosité. On voudrait voir Pennetier enregistrer ces chefs-d’œuvre du répertoire avec une formation de premier plan. Une formation qu’il pourrait regarder droit dans les yeux.