Piotr Anderszewski serait-il le nouveau Ivo Pogorelich ? Ne lui souhaitons pas car sa carrière risquerait d’être chaotique. Mais le premier comme le second ont commencé à se faire un nom dans le cadre d’un concours international et se sont vus sur ce coup d’éclat ouvrir les portes des salles de concert. L’un comme l’autre ont aussi agité la critique autour de leurs interprétations de Jean-Sébastien Bach. Mais, les ressemblances s’arrêtent là car leurs jeux ne peuvent être assimilés. Piotr Anderszewski vient de dépasser la trentaine ; sa technique ne peut être mise en doute. La solidité de son articulation -il sculpte véritablement chaque note- donne à l’évidence une majesté impeccable aux variations lentes. Mais c’est aussi un des risques fondamentaux de cette œuvre, âpre et difficile, fascinante et essentielle, que de caricaturer à outrance les contrastes. Anderszewski a sans doute cherché une unité de conception dans l’exceptionnelle vie qu’il donne à chaque détail, à chaque inflexion. On ne peut s’empêcher pour autant de songer aux versions majeures signées par Arrau, Serkin et Brendel où l’ensemble des variations était tenu par une même rigueur, un même souci de dissection maniaque, totalement tourné vers la quête du mystère de l’être. Il est vrai que les 33 Variations Diabelli occupent une place singulière dans l’œuvre de Beethoven.

On sait avec quelle réticence le compositeur s’attaqua au thème proposé par l’éditeur-compositeur, Antonio Diabelli, qui envisageait de publier un pot-pourri de variations composées par les plus grands musiciens de l’époque. Beethoven ne se résout à la chose que pour en composer, non pas une mais 33 et en développant le schéma harmonique contenu dans la valse initiale. Il est impossible de présenter l’ensemble des trouvailles que contiennent toutes les variations. Il suffit simplement de retenir qu’on tient là l’œuvre qui résume tous les styles de Beethoven. La palette de jeu doit donc être infinie.

Piotr Anderszewski a des ressources nombreuses. Il sort du clavier des couleurs merveilleuses (24e variation) mais sait aussi se faire dur comme un roc (1ère variation inébranlable). Il faut reconnaître également la capacité étonnante du pianiste à tenir l’auditeur, à ne jamais le laisser aller à ses propres divagations. Mais on entend, peut-être trop, la puissante volonté du musicien à rivaliser avec les grands. S’il mène ce combat avec dignité, on regrette que cela ne prenne pas la forme d’un dialogue. Il y a en effet une certaine prétention de sa part à réaliser la sublime 31e variation en l’isolant de part et d’autre par de longs silences comme pour signifier son interprétation. Cette petite coquetterie ne retire cependant rien à la beauté générale de cette version. Piotr Anderszewski vient de marquer un grand coup.

Piotr Anderszewski (piano).
Enregistré du 29 juillet au 3 août 2000 à Lugano