L’alléchant festival Bande Originale se déploie du 12 juillet au 12 août et propose durant cinq week-ends consécutifs une exploration artistique du canal de l’Ourcq, à travers des croisières sonores ponctuées d’escales dans cinq villes de la Seine St Denis, où l’on pourra découvrir in situ les créations d’une vingtaine d’artistes invités. Bande Originale, c’est aussi un Programme Live, présenté à bord des Croisières Live et sur la scène des Plages MU avec des rencontres musicales inédites, ainsi qu’une application interactive dédiée à des parcours sonores géolocalisés. Des expériences d’écoute inédites en perspective, tels que nous le confirment Olivier Legal et Eric Daviron, les deux principaux artisans de cet ambitieux projet porté par le collectif MU.

MU est une association atypique qui s’est imposée d’année en année avec des projets très différents les uns des autres, de European Sound Delta à (feu) Filmer la Musique en passant par Sur les Rails. Peux-tu brièvement retracer l’historique de MU, les différents événements que vous avez produits ou concoctés, et présenter les différentes personnes impliquées dans le collectif ?

Olivier Legal : MU est à la fois un collectif d’artistes et de producteurs qui s’est constitué autour d’un noyau dur de fondateurs issus du Fresnoy – une école d’art du nord de la France. Dès le départ, nous avions envie de développer des projets transdisciplinaires, très ouverts du point de vue des formes, et fonctionnant de manière indépendante, en dehors de l’institution. Des projets avec une dimension participative, collective, car il nous semblait important de susciter la curiosité, d’avoir une démarche ouverte qui dépasse le champ de l’art contemporain, ou du moins le cadre circonscrit des galeries et des centres d’art qui lui est réservé. L’influence situationniste était très présente dans nos premiers projets qui ont ensuite évolué vers des trucs plus pop, car si nos intentions étaient politiques au départ, on n’avait pas non plus envie de se prendre trop au sérieux ! En pleine remise en cause du statut des intermittents en 2003, nous pensions que résister, c’était exister de manière indépendante tout en utilisant le système, car nous avons toujours su nous y prendre pour remplir des dossiers de subventions. Rapidement nous avons été rejoints par des jeunes – et des moins jeunes – avec une énergie formidable et qui se sont investis de plus en plus au fil du temps. Parmi eux, des stagiaires qui sont devenus rapidement membres de MU à part entière et qui sont aujourd’hui plus ou moins aux commandes de l’association, tout en nous laissant quand même un peu de place : c’est quand même nous qui répondons aux questions des journalistes ! Sur le plan des projets et des formes qu’ils revêtent, le son tient en effet une place centrale – c’est lui le fil conducteur. Sans doute à cause de sa dimension intrinsèquement collective, peu contrôlable. Et même si paradoxalement notre travail tourne autour de ça : le contrôle du son dans l’espace. Le son, parce qu’il sort du cadre, nous permet de relier entre elles des choses assez différentes. Il nous laisse le maximum de liberté. Il est aussi éphémère et assez insaisissable. Il existe surtout à travers la mémoire de l’auditeur. Filmer La Musique était sans doute une manière de capter l’insaisissable et c’est pour cela que le festival a tout de suite retenu l’attention. Mais il y avait également une dimension live – à côté des films, nous organisions aussi des concerts et des performances – qui nous permettait de désamorcer le côté cinémathèque, trop figé à notre goût. Car les projets de MU sont surtout des moments à vivre dans l’instant. European Sound Delta en 2008 en est un peu l’archétype : deux bateaux traversaient l’Europe simultanément de la Mer Noire et de la Mer du Nord et convergaient vers Strasbourg avec une quarantaine d’artistes à bord. Une odyssée que nous avons bien eu du mal à archiver tant les anecdotes sont nombreuses…

Comment s’articulent entre elles vos activités de programmateur, de développeur et de producteurs de soirées, notamment au Garage Mu ou au Point FMR?

Eric Daviron : La dimension festive est primordiale chez MU, ok on fait de l’art mais on s’amuse bien aussi, et cela depuis les débuts du collectif : pas une performance, une expo, un festival… sans une soirée qui va avec ! Sans compter une grosse présence des membres du collectif aux concerts et aux évènements de nos amis, les Mu occupent aussi depuis longtemps le terrain des soirées parisiennes. C’est l’une de nos particularités et ce qui fait de nous des gens hyper accessibles, unis par la même horreur de tout ce qui peut se donner des airs prétentieux, maniérés ou fake. Cet esprit , tu le trouves dans les soirées du Garage Mu que nous organisons depuis deux ans dans notre hangar à la Goutte d’Or. Une programmation qui joue volontairement le mélange des genres dans un lieu convivial et sans contrainte, où l’on peut avoir l’impression d’être dans une fête d’appartement. On a un public fidèle, qui se laisse guider, qui  joue le jeu, conscient du côté unique à Paris de ce lieu et de l’énergie qui s’en dégage, de son côté éphémère aussi . Nous sommes des passionnés de musique, et l’envie a toujours été de rapprocher l’art sonore de l’électro, de la pop ou du rock que l’on aime. En tant que programmateur musical de Mu, je suis un des seuls anciens de l’association qui n’a pas fait cette école du Fresnoy. Je viens davantage du milieu rock en fait, et en ce qui concerne l’art sonore ou la musique expérimentale, je me suis toujours fait l’avocat du diable car je déteste la dimension ennuyeuse ou monumentale que l’on peut trouver dans certaines pratiques expérimentales ou arty-snobinardes. Ne comptez pas sur moi pour écouter le même drone assis pendant trois plombes ! De la même manière, je me moque gentiment de ce public noise qui se met des bouchons dans les oreilles et qui écoute le son en souffrant, mais je suis quelqu’un de très ouvert qui ne demande qu’à être surpris, séduit, emporté, subjugué par les pépites qui se cachent forcément au milieu des torrents de trucs insipides. Pour le collectif MU, j’ai également animé il y a quelques années de cela l’émission « Drop Zone » sur Radio Campus, en compagnie de Corinne Macias. Le concept était simple : on invitait à chaque fois un artiste sonore et on lui demandait d’apporter, en plus des deux ou trois pièces qu’on allait diffuser, une playlist pop de morceaux qu’il écoutait hors de sa pratique. Du coup, ça donnait un éclairage intéressant sur l’artiste, et les pièces sonores glissées entre des morceaux pop prenaient une dimension beaucoup plus ludique et désacralisée. Cet esprit-là, on le conserve dans nos programmations, en provoquant un mélange de genres et de publics de manière à encourager la curiosité, à combattre l’ennui et la posture…

Bande Originale fait suite à l’expérience de European Sound Delta qui s’était déroulée à l’été 2008. Peux-tu revenir brièvement sur ce précédent ambitieux et raconter la genèse de ces nouvelles croisières sonores, cette fois-ci en banlieue proche, le long des rives de la Seine? Quel en est le fil conducteur et de quelle envie ce projet est-il né?

OL : Le long de rives de l’Ourcq! C’est un peu notre Seine à nous… En fait, c’est un écho direct du projet European Sound Delta de 2008. Nous l’avions déja défini dans ses grandes lignes dès 2007, alors que nous attendions à l’époque la réponse pour le projet européen. C’était une manière de patienter – et de nous dire que nous pourrions le mettre en oeuvre ici à Paris. Finalement, nous sommes partis à travers l’Europe et le projet de voyage au fil de l’Ourcq est resté dans les cartons.

Peux-tu nous livrer quelques détails sur l’application Soundways et sur les Parcours Sonores?

C’est un peu la version la plus aboutie d’une recherche que nous avons débuté en 2005 à la Nuit Blanche avec le parcours sonore Sound Drop. Nous avions convié une quinzaine d’artistes en résidence à la Goutte d’Or pour composer des pièces sonores que nous avons diffusé dans le quartier sur des audio-guides de musée. Parmi eux se trouvait le compositeur François-Eudes Chanfrault qui a eu l’intuition qu’on pourrait aller plus loin : les parcours sonores n’étaient pas nouveaux, mais les technologies de diffusion (le GPS, les téléphones mobiles…) étaient en train de modifier les possibilité d’écriture de la musique dans l’espace et ça l’intéressait. Nous avons alors décidé de développer ensemble un projet dans ce sens. De manière assez opportuniste, nous avons monté une boîte et soumis la proposition à l’Agence Nationale de la Recherche qui l’a retenu. Nous avons reçu une bourse importante pour développer un prototype que nous avons par la suite montré dans des contextes assez différents (quai Branly, Buttes Chaumont, festivals d’art numérique, FIAC).  Aujourd’hui, SoundWays est une plateforme qui permet de créer simplement des environnements sonores virtuels sur son smartphone. C’est une forme de Sound Mapping – pour reprendre l’analogie du vidéo mapping – qui consiste à projeter des sons dans la ville comme on projette des images sur des architectures… Nous l’utilisons dans le cadre de Bande Originale pour diffuser les créations des artistes que nous avons invité à composer leur bande son pour le canal de l’Ourcq.

Il est rare de voir plusieurs communes se ramifier autour d’un seul et même projet et qu’un collectif soir invité à l’échelle de tout un département (en l’occurence, la Seine St Denis). Ce projet répondait-il à un cahier des charges précis ou avez-vous disposé d’une carte blanche intégrale?

Oui, c’est une carte blanche. Le bureau des arts visuels et du cinéma du Département est venu nous voir et nous a proposé d’intervenir sans nous fixer de cadre. Et comme nous avions envie de garder un pied dans Paris nous avons ressorti notre projet Ourcq – qui existait sous le nom de code : « Audiozone Paris-93 ». Après deux ans passés à développer notre petite scène indé à la Goutte d’Or avec le Garage MU, ça nous semblait un bon moment pour réactiver un processus de création collectif en invitant pas mal d’artistes à réfléchir sur un projet à l’échelle d’un territoire plus large. Le Canal de l’Ourcq est un fragment assez emblématique de la métropole qui relie le coeur de Paris aux confins de la région Ile-de-France.

Vous anticipez en quelque sorte ce Grand Paris que les politiques nous vendent depuis des années, mais qui est jusqu’à présent synonyme de néant culturel s’il n’y avait des initiatives comme la vôtre ou les fêtes organisées par l’association 75021. Pour monter un projet d’une telle envergure, je suppose qu’il vous a fallu batailler dur auprès des préfectures pour obtenir gain de cause? 

Néant culturel? Difficile d’en juger. Tout dépend du point de vue que l’on occupe, mais disons que les choses tendent à bouger du point de vue de la circulation du public Paris-Banlieue. Les initiatives se multiplient pour faire en sorte que le public de Paris bouge au delà du périphérique. Quand tu débarques sur un territoire qui n’est pas le tien, il n’est pas toujours facile de faire prendre conscience de tes véritables intentions. Nous n’étions sans doute pas exempts d’à priori mais nous étions ouverts à toutes les collaborations. Plutôt que d’attirer l’attention sur les artistes invités, nous avons décidé de nous pencher sur l’activité des lieux et des gens dans ce secteur. Et nous avons découvert de belles choses comme ce studio électro-acoustique de Canal 93 (Bobigny) monté il y a déjà pas mal d’années – comme quoi les frontières sont parfois dans nos têtes… Cela dit, c’est vrai que monter un projet mobile comme celui-là nécessite de convaincre pas mal d’acteurs de terrains qui ne comprennent pas toujours l’intérêt de la démarche. C’est un gros effort au départ, mais ça enrichit le projet à la fin. On ne reste pas dans l’entre soi, c’est un risque nécessaire à prendre aujourd’hui.

Les « arts numériques » concernent un réseau spécialisé, où l’approche technologique prend parfois le dessus sur la créativité. Au contraire, Mu a plusieurs cordes à son arc et semble vouloir bouger les lignes en créant un lien entre des pratiques sonores très exigeantes, des applications interactives dernier cri et un esprit plus DIY, à la fois pointu et convivial, punk et festif…

Oui, et de ce point de vue, les deux projets les plus emblématiques – et sans doute les plus complémentaires de notre application SoundWays – sont issus de deux autres collectifs que nous avons invités : Atelier Méditerranée et son projet d’art brut sonore, développé avec des autistes dans un esprit DIY plein d’humour (ils fabriquent des interfaces homme-machine avec des bananes équipés de capteurs!) et le projet radio hybride du Collecif P-Node, une sorte de plateforme expérimentale développé par une quinzaine d’artistes qui mélange web et diffusion hertzienne, dans l’optique de mettre le média radiophonique à la portée de tous. Dans les deux cas, il s’agit d’une démarche relativement ludique, mais qui sous-entend également la reprise du contrôle sur des technologies qui nous échappent.

Bande Originale se clôturera par une soirée dantesque au 6B. Eric, peux-tu toucher deux mots de la programmation musicale, qui s’étend de l’électro-acoustique à la fine fleur de la « post-techno » et du kraut-noise?

ED : Tout d’abord, nous sommes ravis de faire cette fête de clôture au 6B, qui est un lieu emblématique du déplacement de la fête parisienne vers la banlieue (soirées Souk Machine / 75021) et qui est aussi un lieu de création intense. On est sur la même longueur d’onde avec l’équipe qui anime le lieu et l’esprit qui y règne. Pour la programmation de cette soirée, on a voulu se faire plaisir et faire plaisir à tous les participants du projet. C’est une sorte de Garage MU extended et hors les murs. Dès l’après-midi, en extérieur au bord de l’eau et en accès gratuit, se succèderont trois groupes à tendance rock expérimental. Outre Dr Drone et  Antilles, le side project de Sister Iodine, on pourra écouter Bader Motor , le groupe de Vincent Epplay (résident du projet) affilié  à Grautag, le label berlinois  de Nicolas Moulin. Les gens qui viendront de Paris au 6B en péniche, une longue croisière au coucher du soleil, pourront écouter une création des Graciés, le groupe formé de Gael Segalen et Afrikan Sciences, ainsi qu’un live d’Ottoana. La soirée aura lieu toute la nuit sur trois espaces, dont l’un dédié au collectif P_Node qui en assurera la programmation, tendance expé-noise. L’espace principal verra se succéder tois Dj sets (Afrikan Sciences, Mondkopf et Low Jack), aisni qu’un live de Svengalhisghost. A travers leurs productions, ces artistes ont en commun la volonté de sortir des sentiers battus, chacun est encouragé à montrer sa face dark et expérimentale, à jouer sans les diktats du dancefloor… Après tout, on sera le 9 août et tous les kékés seront soit à ibiza, soit  sur la côte d’Azur ! Enfin, c’est une vraie fête de squat d’artistes à l’ancienne, à la berlinoise, où l’on sera content avec tous les potes de rester jusqu’au petit matin et de rentrer à Paris en péniche, qui sait…

 

Plus de renseignements :

http://www.bande-originale.net/

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