Rarement sans doute une sonorité de trompette aura paru si fragile, si dangereusement instable, sur le fil du rasoir, sans cesse prête à s’éteindre ; Arve Henriksen y ajoute par surcroît le chant glacé d’une voix troublante, au registre difficilement situable, presque androgyne, baignée dans une réverbération de cathédrale, capable de saisissantes montées plaintives vers l’aigu au milieu du murmure. Après Sakuteiki, voici trois ans, le trompettiste norvégien continue de sculpter des paysages musicaux à cheval sur l’acoustique et l’électronique, recherchant toujours cette blancheur dépouillée qui donne à son univers cette dimension minimaliste et cette puissante impression d’espace et de vitesse. L’espace, justement : c’est à lui que fait référence le titre, Chiaroscuro, mot emprunté à l’italien pour désigner les techniques visant à conférer de la profondeur aux œuvres à deux dimensions, en peinture aussi bien qu’au cinéma. Opening image, Holography, Bird’s-eye-view : les titres des morceaux eux-mêmes en disent long sur la volonté d’Henriksen de créer, plus que de la musique, un véritable espace sonore, avec ses points cardinaux et sa perspective. Enregistrés dans les conditions du live avec le batteur et percussionniste Audun Kleive et le bidouilleur Jan Bang, les morceaux ont ensuite été sélectionnés, organisés et retraités en studio par Bang et Erik Honoré. La perfection du résultat est à la hauteur du soin apporté à la production : chaque son semble strictement pesé et pensé, chaque atmosphère mise en place au millième de seconde près, chaque événement réfléchi dans une perspective d’ensemble. Il faut se laisser hypnotiser par ces nappes lisses comme du marbre et entrer dans le disque comme on plonge dans une piscine : ne vous attendez à rien qui soit spectaculaire, Henriksen préfère la durée à l’événement, les grands formats à la compacité, la plénitude à l’intensité. Entre jazz chuchoté et electro minimaliste, musique expérimentale envoûtante et chant futuriste sensuel et apaisant, le co-fondateur de Supersilent, camarade de jeu de tout ce que la scène scandinave contemporaine compte de talents (Molvar, Isungset, Seim, Jormin, Alperin et les autres), signe un album résolument original et incomparable, qui vous ouvre les murs sur des paysages inouïs que son vœu le plus cher est sans doute de rendre infinis.