Après deux années d’un silence qui commençait à se faire pesant depuis l’excellent As the world burns, trois des cinq Mcs d’Arsonists (Freestyle et D-Stroy voguant vers des cieux plus solitaires), réapparaissent sous forme de poupées en plastiques façon Big Jim, sur la pochette d’un ultime Date of birth naviguant à tâtons entre hip-hop de luxe et productions à l’arrachée.

Symbolique d’une nouvelle ère au milieu d’une carrière chaotique, ce Date of birth s’ouvre sur une étrange introduction en forme de faire part de naissance, lâchée sur une ligne de piano majestueuse, et qui tire en quelques phrases un trait sur le passé : « Like we said/Life begins now/Date of birth ». Partant de là, tout s’accélère pour dresser le portrait d’un hip-hop protéiforme, délié des conventions qui cloisonnent les uns dans le conscious, les autres dans le gangsta, séparent l’Est de l’Ouest et attisent les querelles d’école. Les trois bonhommes y mélangent phases old-school à grand renforts de cris et autres gesticulations vocales (du ooOH! aigu jusqu’au Mrrrrrr! bien gras), avec des gimmicks dignes des « playaz » modernes, en une savante orchestration de voix que rien ne vient perturber. Leurs flows se coupent la parole, et s’entrechoquent sur des titres comme We be about, virevoltant en autant de scratch vocaux bancals à souhait, mêlés d’interjections ciselées au gré des chaos du beat, ne laissant découvrir les appuis de cet équilibre précaire que dans les dernières mesures, au moment où on était prêt à les voir se vautrer ou se rattraper à l’aide de quelque artifice. Ces exercices de styles -réussis- mis de côté, les Mcs savent aussi s’illustrer dans des tonalités autrement plus graves, se répandant en une série de phases toutes régies par une même urgence qui déchire l’atmosphère de ses cris pour faire exploser -sur des rythmes haletants, saccadés et bruyants- les peines, les souffrances et les frustrations (Bleeps, Alive).

Faisant fi des tendances, les beats, produits en majorité par Q-Unique (appuyé par Dj Doom sur Alive), naviguent entre légèretés à la mode et beats oppressants façon old-school, lorgnant vers un hip-hop à la fois funky et lourd, bourré d’incertitudes rythmiques et bardé de break sévères. Mais si cette production est tout à fait correcte, voire virtuose par endroits, on tombe aussi sur quelques plans d’un goût douteux, comme ces notes de chorus complètement grillées, piochées sur un synthé casio pour les besoins de We be about. Un rien cheap, un rien sur-mixés, ces sons impriment à un morceau pourtant bien parti avec ses accords de piano augmentées des arpèges correspondants sur les couplets, un aspect un peu surfait et froid, presque trop propre. En revanche, ce n’est pas cette médiocrité en forme d’erreur de parcours qui reste à l’esprit à la fin de l’album, mais plutôt cette hargne communicative, parfaitement palpable sur le titre Self-righteous pics produit par Psycho Les (Beatnuts) ; titre qui voit les trois Mcs se relayer pour enchaîner idées et phases tordues, menés par le flow d’un Q-Unique marqué par une agressivité à la Chuck D.

Swell 79, Jise et Q-Unique sont aujourd’hui les têtes pensantes d’une des formation les plus iconoclastes du hip-hop moderne. Car ce qui frappe au niveau des textes (comme au niveau des sons), c’est ce mélange transdisciplinaire, ce syncrétisme de vocabulaires hérités de la production musicale autant que du emceeing, du graffiti (« bombin’ my lyrics on your face »…), ou de la breakdance, qui unit dans un même flot les vibrations des différentes disciplines. Alternant phases de freestyle dans un esprit rigolard, textes conscients aux réflexions affûtées, samples mélodieux à la mode et virtuosités de l’ancienne école, ce Date of birth s’inscrit dans la veine d’un hip-hop syncrétique qui jette un pont entre les cloisonnements d’une culture que les vanités et les égocentrismes poussent à l’agonie.