Il y a des musiciens qui portent un soin maniaque à tout ce qui les concerne de près ou de loin : le temps qu’ils passeront en studio, la date de sortie du disque, le nombre de copies, l’organisation de la tournée à venir, celle de la promotion, etc. Anne Laplantine n’en fait pas partie. L’essentiel de sa rencontre avec l’industrie discographique tient de l’accident et son rapport à la promotion ressemble plus à une blague qu’au planning d’attaché de presse consciencieux. La sortie du deuxième album de la musicienne électronique aurait pu passer complètement inaperçue, selon les vœux de l’intéressée, si le label Gooom Disques (hébergeant notamment Cosmodrone) n’avait pas vu en elle un moyen de sortir de l’ombre. Car, dès que l’on sait que la demoiselle compte parmi ses fans des gens tels que DMX Krew ou Console, on prête tout de suite une oreille plus attentive.

Après un premier album sorti en novembre, sous le pseudo de Michiko Kusaki, sur le jeune label autrichien, Angelika Koehlermann, Anne Laplantine reprend sa véritable identité, le temps d’un album français. Nordheim est composé de 18 titres qui s’enchaînent comme un seul, sortent manifestement des mêmes machines et du même esprit, et ressemblent parfois à des ébauches, des extraits de chanson à terminer. Anne Laplantine se soucie peu de bien finir ses compositions : une fois que tout a été dit, rien ne sert de développer. Nordheim baigne dans cette certaine philosophie de l’essentiel, qui consisterait à se débarrasser de tout ce qui est inutile, artificiel, pour ne conserver que l’essence du morceau.

Cette démarche, au-delà du concept, met en valeur des mélodies inspirées, qui, une fois posées, évoluent librement au sein de rythmes statiques (Après novembre). Mais Nordheim n’est pas pour autant un album austère. Il convient plutôt de parler de clarté et de nostalgie, celle d’une époque (les années 80) et celle des harmonies (les synthés larmoyants de Sous affect). Les arrangements simples font parfois penser aux bandes originales des premiers Hal Hartley (Après novembre), voire à certains morceaux d’un Philip Glass caricaturé par le Eno de Music for airport (Keep me updated). Les sonorités, elles, font souvent des clins d’œil aux années 80, aux textures froides et désuètes des machines de ces années-là (Video game). On trouve également une touche « aphex-twinienne » dans Pour, avec un synthé rappelant les morceaux calmes de Richard D. James. Mais les références sont systématiquement passées au filtre de la personnalité d’Anne Laplantine, qui s’exprime avec des accents de fragilité mélodiquement maîtrisés.
Nordheim est peut-être le dernier disque d’Anne Laplantine en France, ça nous forcera à surveiller davantage les sorties imports et une certaine Michiko Kusaki…