N’en jetons pas un gramme de mauvaise foi, vous l’avez déjà lu quelque part, vous le lirez ailleurs qu’ici dans la bouche des amis comme dans celle des honnis, quelque chose de grand est déjà arrivé dans l’année qui vient de débuter. Merriweather post pavilion est un ravissement. Huit albums dans les pattes, pas un mois de pause entre les disques et les grosses tournées à hululer tous les jours comme des dératés, le quatuor toujours certifié le plus emblématique de la religion Pitchfork livre donc son meilleur, son premier grand disque au moment même où, comme on aurait été plutôt avisé de le prévoir, il aurait dû se planter et se prendre un tsunami de râleries sur le coin du crâne. C’est assez inespéré.

Au premier contact, pourtant pas grand chose n’a changé depuis l’étape précédente Strawberry jam : tout ou presque baigne encore dans une potée de réverbération, les voix mêlées/alternées de Noah Lennox et Dave Portner sont presque toujours quadruplées, quintuplées, sextuplées (toujours le folk psychédélique anglais et la fratrie Wilson). Mais dès My girls, l’oreille est inondée de lumière : quand ledit Strawberry jam, plutôt mal aimé, détrempait dans des samples ensablés par milliers sans se soucier des plans et trancher dans les matières, ce nouveau détache tout en lignes claires épactantes de décision et de bon sens. C’est déjà là que ça fait pop : devant, il y a les beats, gros et gras, carrément hi-fi sur Summertime clothes ou Daily routine et presque toujours agencés en architectures dance-y super resserrées (r’n’b, technoïde, boogie woogie) ; derrière, il y a les accroches, souvent assemblés en arpèges Terry Riley-esques de ces textures hésitantes, stretchées sans attention puis rendues vacillantes par des petits échos troublants; enfin, dans le fond, le bruit du monde (vent qui souffle, corps qui tournent, brouahaha) gronde toujours, mais sans oser aucun parasitage. Comment s’y sont-ils pris ? Sans se perdre en conjectures, on notera l’absence en studio de Deakin (alias Josh Dibb), soit un boucanier de moins dans le mix, et ça n’est sûrement pas rien. Ensuite, Lennox a maintes fois révéré le travail du producteur Ben Allen, artisan de studio dont on retrouve la trace sur des albums de Christina Aguileira, Gnarls Barkley ou All The Saints, expliquant aussi que Merriweather post pavilion était certainement le premier album proprement « produit » du groupe.

Ensuite, et on s’en rend compte presque instantanément même en laissant filer le disque en fond sonore, il semble que l’on puisse tout mettre sur le dos des chansons. Qu’elles marchent à l’accumulation (celles de Panda Bear) ou éclosent depuis des carcans plus traditionnels couplet/refrain/pont (celles d’Avey Tare), qu’elles avancent en vers d’oreilles upbeat conquérants ou en ballades plus effacées, elles sont toutes, toutes, toutes formidables. Ce qui constitue, même la groupie la plus transie en conviendra, une belle première. Et si la joie tour à tour radieuse/communicative/béate qu’exsudent les deux tiers des chansons en agacera quelques-uns, on préférera par ici la mettre en lien direct avec la douce euphorie naïve des premiers Kraftwerk (Kraftwerk I et II, Ralf und Florian – dont Panda Bear avait échantillonné Ananas symphonie sur l’incroyable Person pitch avec le bonheur que l’on sait – et Autobahn) plutôt que de lui chercher des noises. Enfin, et c’est par là qu’Animal Collective est peut-être le plus précieux des groupes à la mode, les très belles chansons de ce très beau disque défient toutes tous les gimmicks : Lion in a coma, avec son sample de didgeridoo tout droit échappée d’un vieux disque d’ambiant techno à la The Orb, se mue vite en une pop song affable, dodelinante, tout à fait fascinante ; Summertime clothes fait mine de s’embarquer sur une odyssée technoïde avec coup de kick à tous les temps de la mesure mais tord vite le cou à la techno pour lui préférer un « Diddley Beat » souriant ; Brother sport, enfin, avec sa superbe structure (teasing, ascension, explosion) taquine l’acid house à l’anglaise (petite « yeah » en boucle superposé sur la caisse claire) avant de ratterrir, en vol plané, sur une mer d’huile et de tranquillité, et d’imprimer tout de go un gros, un gras, un énorme point final sur ce disque énorme. Post coitum animal felix. Merriweather post pavilion est un disque épatant