Qui a vu Disneyland, mon vieux pays natal, ce film d’horreur en forme de documentaire sur Euro-Disney, qui a vu Disneyland sait la force terrible du cinéma d’Arnaud Des Pallières, et sa capacité à transformer les palpitations invisibles du monde en grondements puissants, en pulsations toniques et vibrionnantes. Qui a vu Adieu sait aussi combien cette énergie peut se retourner contre les films, mécaniser leur terreur, ériger leurs images en paraboles ou en systèmes, ce qui revient ici au même. L’hyper-présence des choses – un camion par exemple, de la chaîne de montage en usine où il naît à la route qu’il dévore monstrueusement – y persévérait à soutenir une incantation souterraine tout en engloutissant sous un tas de sens et de symboles le vertige figuratif et sensoriel de l’édifice, bâti patiemment par un dispositif sophistiqué à l’extrême. On a vite fait de dire : cinéma terroriste, vrombissant.

Parc, la cathédrale s’effondre en poussières de sens et de vide. Des Pallières a adapté Bullet park, un roman des années 60 signé John Cheever. Dans le sud de la France, dans un ghetto pour familles fortunées, amas de maisons protégées et luxueuses, la famille Clou passe les jours tandis qu’à la télé la banlieue s’embrase. Le fils Clou est perturbé. Le père Clou bricole, mange bruyamment des tartines, la mère Clou est là, et appuie son menton sur sa main en pensant. Le marteau ne tarde pas à venir : Monsieur Marteau est le voisin, un grand bourgeois dont la femme traverse une crise de grande bourgeoise (scène ridicule au possible). Et caetera.

Le problème de Parc est extrêmement simple : durant le premier quart d’heure on se demande ce qu’il va falloir exactement comprendre à tout cela, comment percevoir ce qui est caché et qu’il va falloir extirper. Vers la 20e minute on soupçonne que la réponse est : rien. Et l’on passe le reste du film à vérifier qu’en effet, ce qui est caché ne se montrera jamais. Ce n’est pas que le film se refuse à communiquer quoi que ce soit. Au contraire. Tout, ici, fait sens. Ou plutôt : est chargé de sens ; en surcharge, en surpoids. Les plans s’enchaînent et sont « lourds de sens » comme on dit, gavés de sous-entendus, d’allusion. A quoi ? Vous comprenez ? Non. Un état du monde, tel qu’il est horrible ? Oui, peut-être – et ? Bientôt le film fait l’effet d’un texte absolument hermétique d’où rien ne dériverait. Un hermétisme qui ne renvoie qu’à lui-même, adossé à rien, adressé à personne. Des connotations détachées de ce qui est connoté. Une puissance puissamment impuissante. Le film s’épuise à se muscler, il insiste lourdement à dire : rien. Qu’il ait précisément quelque chose à dire : on n’en doute pas. Sauf qu’il est incapable d’exprimer quoi que soit, étant si fortement amarré à lui-même, sans dehors, sans mystère à force d’en faire (des mystères), qu’il ne fait de lui-même rien dériver, rien sortir. Des Pallières sait toujours faire gronder ses images, ses plans froncent comme des sourcils, et son film n’est qu’une grimace, un arbre d’apocalypse, mort et sans fruits.