De D.I.A. en 2009, Through Donkey Jaw en 2011, jusqu’à ce nouveau Love, au titre programmatique (l’amour autant ressenti qu’exprimé), la discographie de Damon McMahon semble refléter la lente ouverture de son géniteur au monde, comme une découverte progressive de l’altérité, en même temps que des mille nuances du spectre sonore. Point encore de fréquences trop aigues dans ce dernier-né, toujours emmitouflé dans l’écho, la reverb d’une pièce vide, McMahon y braillant comme pour lui-même ses plaintes émo, tel un Bob Dylan souffreteux, un Syd Barrett pris dans la glace de sa folie introspective. Reste qu’en invitant Efrim (Godspeed You Black Emperor!), Colin Stetson et Elias Bender Ronnenfelt (Iceage), ainsi que quelques cordes, claviers et batteries (joués par ses acolytes Jordi Wheeler et Parker Kindred), mixés quasiment en mono, le solitaire élargit ici quelque peu la palette de son délire, sort tant bien que mal de son sillon monomaniaque, remplaçant la prise unique et l’improvisation par un an et demi d’enregistrements, qui donne une nouvelle ampleur, longitude, latitude au projet.

Et du champ, de la profondeur, de la transcendance,  la thématique de l’album en demande, puisqu’il s’agit, donc, ambitieusement, de l’amour, de l’amor, du love, sujet rebattu et rabâché s’il en est dans le champ de la pop musique, et pourtant inépuisable, inépuisablement consolateur (et quelle autre vertu de la pop musique que de consoler ?), et toujours, aimable. McMahon s’est attelé donc à son grand-œuvre, célébrer l’amour plus fort que la mort (l’a de l’amor excluant la mort), l’amour que l’on se porte à soi-même (I know myself), que l’on porte aux autres (« Everybody is crazy/Crazy to say I love you »), l’amour universel, divin (dernière chanson, homonyme, de l’album : « Every time it descends, oh my Lord / every time perfect sense, oh my Lord / Every time we protect perfect sense we prepare, oh my Lord »), entre doutes, prières et déclarations.

Dans les rues de Paris, ces jours-ci, affleurent sur les murs des graffitis « L’amour est mort. » McMahon, parfois, ne dit pas autre chose. L’autre jour, j’ai vu que quelqu’un avait rajouté sous un de ces graffitis : « Parce que ton pauvre cerveau n’est plus capable d’aimer ». Sur un autre mur, quelqu’un a écrit : « Capitalism kills love ». La question de l’amour est sans doute la plus importante à poser en ces temps troublés. A ce titre, Love, d’Amen Dunes, est un des albums les plus pertinents de l’année, et témoigne de l’attention que porte son auteur à notre époque. Pour cela, il mérite toute notre attention. Cette autre forme de l’amour.