Révélé par la compilation Anticon giga single (où il posait délicatement sur une boucle de piano enivrante et changeante pour cracher le très poétique Watching water, titre que l’on retrouve d’ailleurs sur cet opus), Alias est également connu des fans du combo/label Anticon pour son travail au sein de So Called Artists (Alias, Dj Mayonnaise et Sole, auteurs du brillant Paint by number songs) ou encore pour ses EPs Three phase irony et Final act. Outre le cronenbergien Opus ashamed où la personnalité et les phrasés du bonhomme s’enchevêtrent avec ceux de Dose One (qui lui déplombe par ailleurs les molaires), Alias s’occupe de tout sur cette nouvelle galette (production, programmation, textes, flow…). Après une intro assez dark, le sieur Alias se balance sur des breakbeats entrelacés de divers samples disparates et retombe sur un voice-sample saturé qui se déforme narquoisement pour enfin se noyer dans les infra-basses et autres synthés analogiques. Break. Silence. Alias reprend le micro et balance la sauce en chevauchant les breaks vigoureusement tout en balayant devant la porte de sa conscience (« I ride in the uncertainty lane constantly biting my nails and glancing at the planes that keep passing over, longing on to be on the inside, splitting a soda with guy three seats ahead of me. I didn’t say hello? How socially dead of me. How are you? Insert small talk here »…).
Bienvenue dans l’univers d’Alias, bienvenue dans le rap défoncé à la psyché d’un Mc/producteur de haute capacité, qui réussit à inonder l’auditoire d’une pluie de représentations morbides de vies reflétées dans un miroir de claustration (Angel of solitude). Si le flow de notre homme n’est pas des plus redoutables, il parvient tout de même à toucher les beats, à les caresser aussi, tout en dressant quelques ponts vers un monde que n’aurait pas renié Lewis Caroll (le troublant Black tea, l’hypnotisant Slow motion people). Garnis de fracas industriels (pas très funky) bien acérés, le membre des Deep Puddle Dynamics (dont le premier album The Taste of rain…why kneel ? sorti en 2000 est une des plus grosses bombes de la famille Anticon) joue avec les mélodies de cordes décharnés et casse du rythme à l’envie (Getting by version 2). Tandis que des cymbales s’écrasent avec tumulte ici, que des pianos tintinnabulants se perdent là, Alias crépite et déferle son vomis sémantique maladif sur un tapis de bourdonnements qui semblent émerger d’un cerveau recouvert de drones insanes (Final act). Un programme attirant et effrayant à la fois, à l’image de l’esprit de son créateur. Si l’introspection malsaine de ce pilier de la famille Anticon touche par son approche très percutante de la programmation et son déversement rugueux de la vie, c’est que l’auteur de Three phase irony manie avec une insolente précision ses machines et ses textes, tout en alliant parfaitement des sons qui -a priori- semblent inadaptés ou difficiles à associer.
En traçant des chemins qui mènent bien souvent dans des directions diamétralement opposés (textes inclus dans le booklet pour mieux saisir la chose), Alias s’immisce dans une bulle analytique, qui pourrait sembler introvertie à l’extrême s’il ne la faisait pas exploser à chaque morceau, notamment à l’aide de rythmes claquants et de métamorphoses lexicologiques. Prouvant avec les mots et le son que le créateur est à la fois un allié et un concurrent pour sa propre œuvre psychanalytique (le quasi-autobiographique Inspirations passing), Alias établit des schémas hip-hoppesques mélancoliques, qui s’étirent quelquefois un peu trop sur leur propre noirceur, mais dont les fruits sont pratiquement toujours fascinants pour l’oreille. En finissant son opus par un morceau malade, alimenté de textes autodestructeurs (« I’m dying here. Not lying. Wishing I could express how I feel. I see acceptance bears a heavy burden. I’m searching for a savior and going back and forth in my head if I should break my silence or die… »), Alias enfonce ses couteaux saillants dans le cerveau de l’auditoire, avec un brio et un punch imparables. Des couteaux qui pourrait bien un jour ou l’autre trancher la gorge de Beanie Siegel, Ja-Rule, Miss Dynamite et de tous leurs amis.