La musique d’Akosh S., organique, furieuse, criante (et criarde -Akosh S. joue du cri, littéralement, d’ailleurs c’est marqué sur la pochette), se veut être la mise en forme d’un grand vent de liberté sur une mémoire traditionnelle, le folklore hongrois. Laissons de côté, dès à présent, l’aspect inévitablement militant de cette musique (militantisme politique, d’abord -on connaît la petite histoire de l’artiste émigrant, sans-papier, pris sous son aile par Bertrand Cantat, le chanteur de Noir Désir…- et musical, ensuite -il reste, apparemment, des intégristes à convaincre que le jazz tend naturellement aux mélanges- et restons-en aux seules sensations de l’écoute. Les mélodies sont belles, les rythmes essentiels, les sonorités remarquablement mariées, les couleurs obsédantes.
Mais Akosh S., artiste officiel de la rébellion free-world fin de siècle, fonctionne comme une manufacture ; la spontanéité de sa musique souffre d’une irréductible impression de procédé et de préméditation dans la construction, la méthode, le principe. On nous avancera qu’il serait paradoxal pour le saxophoniste de mesurer des élans qui, justement, témoignent de sa liberté revendiquée. Là est bien le problème : conscient de la mesure, il prétend systématiquement à l’outre-mesure, y voyant la légitimation de son œuvre et la condition de l’étiquette qu’il trimballe avec lui depuis ses premiers (grands) travaux en leader. « Déconstruire pour mieux reconstruire, désapprendre après avoir appris, désorganiser et réorganiser » : de belles formules un rien éculées qui collent à merveille au projet de notre hongrois, projet qui tient tout à la fois de l’agence de voyage en cars non-climatisés, du prétendu artisanat à l’échelle industrielle aseptisée et du discours libertaire de façade. La sincérité d’Aksoh S. est noyée dans l’eau saumâtre des gages de mauvaise conduite qu’il veut à tout prix donner, quitte à en faire trop. Et pourtant, on sent que coule dans cette musique une sève exempte de tout dogmatisme, qui pourrait couler comme un torrent s’il n’y avait ces goulots d’étranglement… Akosh S. est donc un problème, statut que pourraient lui envier nombre de collègues qui, eux, ne sont rien. On attend toujours l’incendie promis par ce pyromane en puissance.
1) Földeken (Lungoj Drom) – 2) Let – 3) Eredet – 4) Lélekzet – 5) Turul – 6) Aradat (Arviz) – 7) Igéret (toutes les compositions sont de Akosh S.)
Akosh Szelevényi (ss, ts, tp, bombarde, kalimba, cris), Joe Doherty (vln, alto 4 cordes, ss, as, bscl, p), Bertrand Cantat (voc, tablas), Péter Eri (alto 3 cordes, vln, jug, bombarde, cruche, clochettes), Alexandre Authelain (bscl, cl), Robert Benkö (b), Bernard Malandain (b), Bob Coke (davul, tabla, gardon, tambourin, tampoura, saze), Pape Dieye (djembe, tabala, perc), Philippe Foch (dm).
Enregistré du 14 au 16 septembre 1998 à Paris.