Porte-étendard des romanciers du Deep south, néo-calviniste bon teint et inlassable contempteur des déviances infernales d’une Amérique où tout fout le camp, l’étonnant Walker Percy suscite, depuis sa disparition prématurée en 1990, un réel engouement dans les études littéraires américaines. Sans même parler de ceux qui l’érigent en quasi fils spirituel de Faulkner, sa personnalité et ses opinions singulières en font pour beaucoup une figure majeure de la littérature de ces dernières décennies, auteur d’une oeuvre qui, outre six romans dont seul ce Lancelot publié en 1977 restait à traduire, compte plusieurs essais et récits non-fictionnels consacrés au langage, à l’écriture et aux préoccupations philosophiques qui débordent généralement dans ses romans. Originaire d’une vieille famille de Louisiane dont le nom reste étroitement lié à l’histoire politique de la région, il fait des études de chimie puis de médecine et contracte la tuberculose, à 26 ans, en autopsiant des clochards ; au sanatorium où il passe plusieurs années, il consacre la majeure partie de son temps à des lectures romanesques (Dostoïevski, Camus) et existentialistes (Sartre l’occupera longtemps et formera l’une de ses premières influences). Obsédé par la chute originelle et persuadé qu’elle a jeté l’homme dans un monde qui n’est pas fait pour lui, Walker Percy donnera à son œuvre la forme d’une vaste méditation sur la quête d’absolu et la destruction du monde institué qu’elle impliquera forcément : c’est dans le feu et le sang que s’achèvera ainsi la course spirituelle du héros désenchanté de ce roman dont le décor est planté, comme il se doit, à la Nouvelle-Orléans dans les seventies.

Lancelot n’a pas grand chose à voir avec le héros des légendes arthuriennes, sinon le désir ardent d’un Graal existentiel enfoui sous les ruines immorales de l’Amérique moderne. Avocat désœuvré, il découvre au hasard d’un contrôle sanguin que son groupe et celui de sa fille sont incompatibles -autant dire qu’elle n’est pas de lui. Margot, la riche épouse infidèle, devient aussitôt l’objet d’une traque silencieuse et obsessionnelle dans l’espace confiné de leur immense maison de Belle-Isle, envahie par l’équipe de cinéma qui y tourne un film et offre les protagonistes d’un ballet étrange et amoral. Le bien, le mal, Dieu et le diable sont au cœur de la confession irritée et orageuse de Lancelot Lamar, que le dégoût et la colère ont transformé en métaphysicien rédempteur au discours enflammé. « Je ne peux ni ne veux tolérer l’époque qui est la nôtre. J’aurais pu vous tolérer, vous et votre Eglise catholique. J’aurais même pu y adhérer, pour peu que vous soyez restés fidèles à vous-mêmes. Mais vous êtes désormais intégrés à l’époque. Vous voilà le dos couvert des mêmes puces que les chiens dont vous avez partagé la paillasse. » Le texte tout entier exprime sa croisade éthique et morale contre les immondices d’un monde en pourrissement où plus personne n’est là pour vous indiquer ce qu’est le bien et ce qu’est le mal. Rugissante, hargneuse, impitoyable, sa vision de l’Amérique est rien moins qu’apocalyptique : le pays court à sa chute, gouverné par une bande de « politiciens, bureaucrates, membres du Congrès avinés, présidents menteurs, Mafia, Pentagone, pornographes, pédérastes, soudoyeurs, soudoyés, vieillards sudistes sclérosés, riches yankees véreux, livres porno, films porno, pièces porno, débats porno, séries porno, exaltés des deux bords… » Ce n’est pas seulement l’Amérique de Larry Flynt qu’il voue aux gémonies, c’est aussi celle du procureur Starr et des « adorateurs de Jésus ». Au terme d’une méditation saisissante, à la fois violemment visionnaire et franchement réactionnaire, sur le sens des valeurs et la rédemption d’un catholique pécheur, Lancelot imaginera le dernier assaut contre cette Sodome dégénérée qu’il s’agit d’abattre : « si la victoire est à ce prix, nous emploierons le glaive. »