Quand ravamoe party et musique baroque se mêlent dans un roman, leur rencontre semble devoir être au mieux absurde, au pire complètement creuse. Ce n’est cependant pas le cas chez Vincent Borel, romancier dont le parcours foisonne de dialogues inattendus. Jugez-en : jeune khâgneux féru d’opéra, Borel découvre en montant à Paris le monde de la nuit et de la techno avant de passer journaliste, puis rédacteur en chef de feu Nova Mag. Il y a huit ans, retour aux premières amours classiques et baroques : il se nourrit alors de XVIe et XVIIe siècle et se lance dans un grand projet de retranscription de la Bible de Lefèvre d’Etaples. Autant d’éléments hétéroclites qui habitent ce cinquième roman : beaucoup moins autobiographique que ses deux premiers, Pyromanes s’enracine dans un terreau personnel marqué du double sceau de la fête et du spirituel. Bien trouvé, le revirement dramatique prend la forme d’un violent orage et d’une électrocution collective de jeunes ravers en pleine transe. Panique générale dans un coin paumé des Hautes-Alpes.

Etudiant en histoire et moniteur de colo, Guillaume Farel passe par là. Avec les jeunes banlieusards qu’il accompagne, il est touché de plein fouet par la foudre. Parti pour un job d’été agité, entre deux leçons d’histoire et un caillassage de trains, il comptait mettre à profit ce séjour en montagne pour suivre les traces de son homonyme, le réel et célèbre Guillaume Farel, prédicateur protestant du XVe siècle. Manque de pot, il se retrouve à moitié grillé sur un lit d’hôpital. Mais pas de fatalisme chez Borel : au contraire, la foudre déclenche une montée en puissance des énergies telluriques et sous-jacentes du monde. Retenues sous la croûte terrestre ou par la masse atmosphérique, elles grondent, se soulèvent et se libèrent en fanfare. « Ce sont les dieux d’en dessous qui rampent et s’éveillent. Ils n’obéissent pas au progrès, ils ignorent sa durée, mais chahutent autour des humains qui les ont masqués sous l’opprobre du péché originel ». Rien que ça.

Cette émergence donne le ton de la seconde partie du roman et la tire en avant avec une vigueur surprenante. Renaissance des forces ancestrales, réveil des dragons symboliques, miroir du monde renversé : Borel rouvre la veine du baroque, du carnaval des apparences et de la satire des faux pouvoirs. Il y ajoute une poignée de torpeur lorsque survient l’inversion des pôles, phénomène insatiable où « tout ce qui s’était élevé se trouve rabaissé » et phase terminale d’une « purge pour l’humanité » que Borel, c’est peu dire, ne voit pas d’un très bon oeil. Sans céder au seul délire de la catastrophe, il garde en main son histoire et fait évoluer deux intrigues en parallèle. D’un côté, on assiste à la métamorphose de Farel et Mehdi, les deux survivants de l’hécatombe, devenus le voyant et l’entendant, en étranges prédicateurs animistes et fusionnels ; ainsi se bouclent les premières pistes de l’homonyme, du double historique et du primat du désir sur la raison corrompue. De l’autre, une piste nous ramène en pleine forêt où Paule, artiste post-new-age tendance scato, bascule dans la vie animale et donne la vie à un être issu de ce retour aux sources. Ethique écologiste, revanche des éléments sur les dérives humaines, allégorie de la parole qui prend corps : Pyromanes assume jusqu’au bout son parti pris et développe une écriture ardente, enveloppée, naturaliste et riche en contrastes et tonalités. On en redemande.