Nathanael West n’est pas le plus connu des écrivains américains de la première moitié du siècle dernier. Né Nathan Wallenstein en 1903, il a eu une carrière courte, puisqu’il meurt à 37 ans dans un accident de voiture, avec sa femme Eileen. (Il paraît que c’était un conducteur épouvantable). La veille, Fitzgerald était mort aussi, d’une crise cardiaque. Les deux hommes étaient amis et furent proches par certains aspects, notamment leur fréquentation d’Hollywood, où West a travaillé comme scénariste avec un certain succès. Son œuvre, fatalement, est modeste : des nouvelles, une pièce et quatre romans, tous écrits dans les années 1930, au moment de la crise qui frappe l’Amérique. Miss Lonelyheart (1933, traduit en 1946 sous le titre Mademoiselle Cœur-brisé) est le plus célèbre ; A Cool Million (1934), moins connu, n’avait jamais été traduit en français.

Il s’agit d’un conte philosophique burlesque, un Candide américain où le jeune héros, Lemuel Pitkin, va de catastrophe en déconfiture sans jamais perdre son optimisme et sa confiance dans le rêve américain. Parti de chez lui à 17 ans pour faire fortune, il se fait d’emblée arnaquer de tous les côtés, part en prison, dort dans les parcs, se fait tabasser ; il y perd ses dents, puis un œil, puis un doigt, etc., comme si le système était si vorace qu’il dévorait non seulement ses maigres possessions, mais aussi son corps. (Le roman est sous-titré : « Le démembrement de Lemuel Pitkin »). Bienvenue en Amérique, donc ! Du rêve démocratique et libéral des pères fondateurs (« Ne croyez pas les imbéciles qui vous disent que le pauvre n’a plus aucune chance de devenir riche »), il ne reste plus grand-chose ; mais Lemuel, illusionné par les mythes, continue d’y croire…

La satire cinglante de cette trahison passe par une galerie de portraits et une cascade de saynètes courtes, proches de l’esprit du crazy humor (façon S.J. Perelman, qui fut… son beau-frère, et à qui le texte est dédié), jusqu’au grotesque et à l’absurde. De là qu’un surréaliste comme Soupault ait pu s’y intéresser en France, en préfaçant Mademoiselle Cœur-brisé. Ce côté carnavalesque se reflète dans le thème morbide de la défiguration et du démembrement, comme le remarque Pascale Antonin dans son intéressante (mais jargonesque) postface. Aujourd’hui encore, il suffit d’observer le visage creusé du moindre clochard et de le comparer aux faces lisses des présentateurs de chaînes d’info américaines pour comprendre que ce n’est pas forcément une métaphore. Une belle découverte, donc, agrémentée de dessins bien dans le ton signés Louis Lavedan.