Le dernier essai de Tony Anatrella poursuit la réflexion engagée dans ses trois ouvrages les plus importants, Le Sexe oublié, Non à la société dépressive et La Différence interdite, réflexion menée à la frontière du psychologique et du social, étudiant les notions de liberté et de dépendance et les comportements qui en résultent. Prenant le contre-pied de la revendication, propre à beaucoup d’individus et de médias contemporains, d’une liberté absolue, Anatrella pointe les limites de notre autonomie et analyse les dangers où conduit une liberté seulement conçue comme la possibilité, sans limites ni contraintes, de toute action. Le constat frappe souvent juste : dans les comportements quotidiens comme dans les comportements extrêmes des toxicomanes que l’auteur prend en exemple symptomatique de la dépendance, s’amplifie en effet, de plus en plus fréquemment, la tendance à ne plus se référer qu’à soi-même. Les lois, qu’elles soient morales ou légales, ne sont plus alors que des contraintes vides de sens qui nous empêcheraient d’agir en fonction de nos désirs.

Malheureusement, il n’y a qu’un pas entre la négation de la loi et la rupture du contrat social, entre l’envie, somme toute légitime, de satisfaire ses désirs et la pure impulsivité. Laquelle apparaît souvent comme la dépendance à des pulsions chaotiques et variables qui détruisent davantage la personne qu’elles ne lui permettent de se construire.
Les passages les plus convaincants de cet essai révèlent le manque d’ancrages et de repères dont souffrent de plus en plus de jeunes et témoignent de l’échec des politiques actuelles destinées à y remédier. Il est en effet difficile de ne pas percevoir incohérence et ambivalence dans l’attitude d’une société qui, pour ne prendre que quelques exemples, condamne la drogue mais tolère l’existence des capitaux qui proviennent de son trafic, déclare que les individus disposent librement de leurs corps mais tolère le proxénétisme, demande aux familles et aux acteurs du système éducatif de défendre des valeurs mais accepte de les voir en même temps bafouées dans les secteurs financiers, médiatiques et politiques.

Anatrella axe malheureusement l’essentiel de son propos sur l’aspect moral. Pour résoudre les problèmes constatés, suffirait-il, comme il le laisse entendre, de redonner -et comment ne pas le faire de manière artificielle ?- plus de place au religieux et au rôle du Père ? Suffirait-il de se débarrasser de la « négation du double espace du privé et du public », « un des effets pervers que nous avons hérités de l’idéologie marxiste » ? On peut ainsi douter d’une réflexion qui se base beaucoup sur la référence à un modèle de société passée et qu’on sent facilement prête à confondre idéal moral et idéal catholique. On peut surtout craindre d’autres excès de la part d’une pensée qui affirme que « la loi morale vaut par elle-même et transcende la loi démocratique ». Ce fut, faut-il le rappeler, le principal argument de ceux qui, au sein de certaines congrégations catholiques, et au nom de lois morales conçues comme transcendantes et supérieures, dissimulèrent à la justice des hommes, pendant des années, de nombreux auteurs de crimes contre l’humanité.