Pas facile de rassembler quelques infos concernant T.M. Rives, né en 1972 en Californie, globe-trotter, europhile, qui signe ici un premier roman imprimé à l’origine à Venise en trois exemplaires. Et quand on finit par y arriver, on découvre que son texte le dévoilait déjà presque entièrement : un américain à l’enfance vagabonde, élevé au grand air, devenu étudiant en linguistique et histoire de l’art. En 1995, il quitte le Nouveau Monde pour la vieille Europe, finit ses études en France, part pour l’Italie, se pose quelques temps à Venise avant d’en repartir… Aujourd’hui installé à Lisbonne, Rives est resté un linguiste fasciné par la langue anglaise et son usage littéraire. Nourri de ses multiples expériences, il livre avec Le Serpent des blés un récit singulier, dans lequel les portraits ressemblent à des mythes. Un équilibre fragile s’installe, entre clichés d’une Amérique éternelle et entrée dans les sentiments profonds et puissants qui se dégagent de ce texte pourtant très court. Quelques pages suffisent à Rives pour créer son univers, d’une simplicité étonnante, d’une grande finesse, d’une clarté remarquable ; la figure du serpent nourrit ces pages, à la fois prétexte et spectacle, vecteur d’imaginaire aussi, porteuse de paraboles faciles et d’ambivalences, dans un théâtre privilégié mixant les peurs, les angoisses et la fascination associées à l’animal serpent.

Les réseaux se tissent étroitement entre les personnages, une mère, son amant et sa fille, un couple d’amis ; l’auteur porte sur la société un regard acéré, rusé, suit le temps qui passe, file les liens entre les gens, propose une approche du monde et de la nature qui ancre le tout dans un monde à la fois familier et étrangement distant. On s’attache immédiatement à cette fillette non nommée, sa mère arrache quelques sourires, on éprouve un sentiment mitigé, entre pitié et attendrissement. Il y a de l’immensité dans ce texte, du désespoir et une soif de vivre inextinguible. Le voyageur infatigable qui n’est pas retourné aux Etats-Unis depuis des années choisit, quand vient l’heure d’écrire, de raconter les régions de son enfance, ses paysages ancrés dans tous les esprits, prompts à alimenter tous les clichés. Mais Rives, le linguiste qui n’écrit qu’en anglais, se rassasie en Europe et raconte la jeune Amérique, n’en est pas à un paradoxe près : c’est peut-être ce qui fait le charme de son récit, entre fraîcheur et maturité, spontanéité et tradition. Il y a dans son texte des prairies immenses ; il y a chez lui qui a fait le choix de quitter son pays le souvenir de ce qui y est ancré et qui vibre si souvent chez ses grands écrivains. Des grands espaces et pas d’apprivoisement à attendre, une liberté toujours recommencée, le fil rouge de l’espoir qui court sur le sol, comme un serpent.