Au départ, c’était le blog dessiné de l’auteur, intitulé « Le bureau 14 de la Sorbonne ». Aujourd’hui, c’est un roman graphique marrant sur les déboires d’une doctorante (à demi-fictive, donc) en littérature d’une grande fac parisienne, embringuée dans une interminable thèse sur le motif du labyrinthe dans la parabole des portes de la loi dans Le Procès de Kafka. Problème : sa thèse n’est pas financée (comprenez : elle ne fait pas partie des rarissimes élus à qui l’Université verse pendant trois ans un salaire pour rédiger leur travail et donner quelques cours), elle doit donc trouver un job alimentaire, dévoreur de temps. Coup de chance, elle dégote un poste de secrétaire administrative dans sa propre université. Se présente alors un autre problème : pour espérer décrocher un poste après sa thèse, elle devra avoir enseigné. Là encore, elle obtient des TD dans une fac de banlieue, dans une matière à laquelle elle ne connaît évidemment rien (d’où des dizaines d’heures de préparation pour n’avoir pas l’air inculte devant ses étudiants, et un temps de travail sur la thèse qui diminue d’autant). Etc.

Tous ceux qui ont un jour commencé une thèse en sciences humaines ou en littérature riront de bon cœur devant le récit des mésaventures de l’héroïne, qui passe par toutes les cases du parcours du combattant. Savoir, sans exhaustivité : 1) la complexité kafkaïenne (précisément) des statuts, la paperasse, l’inertie de la bureaucratie universitaire ; 2) les directeurs de thèse prestigieux et débordés qui ne répondent jamais aux mails, surveillent leurs thésards de loin et les laissent s’embourber des mois, voire des années, dans des pistes sans issues, en s’en fichant royalement ; 3) la rivalité permanente entre thésards, sachant qu’il y a à l’arrivée un poste pour des dizaines de candidats ; 4) le job alimentaire qui empêche de préparer les TD, les TD qui empêchent de préparer la thèse ; 5) l’incapacité, au bout de 2 ou 3 ans de recherches intensives, à relever le menton pour mettre ses idées au clair, l’angoisse de la page blanche et du plan biscornu, garantie d’une thèse qui, au lieu des 3 ans prévus (cette blague), en durera 7 ou 8.

Sans oublier : 6) l’impossibilité d’expliquer ce qu’on fait à son entourage, qui n’y comprend rien, s’inquiète qu’on ne gagne pas sa vie, et qu’on aborde la trentaine en demeurant étudiant ; 7) le couple qui explose, faute pour le thésard de contribuer aux ressources du foyer et de réussir à ne pas penser 7 jours sur 7 à cette foutue thèse ; 8) la découverte des petites mesquineries du milieu, les rivalités entre grands pontes façon David Lodge, les jeux de pouvoir, etc. ; 9) l’impression de plus en plus nette de passer à côté de sa jeunesse, voire de sa vie, et la peur de traîner désormais le boulet d’années gâchées dans un travail sans fond, qui n’aura débouché sur rien… C’est fin, presque émouvant parfois, sans prétention et plein d’autodérision, avec un petit côté comédie générationnelle et sociétale à la Chatiliez qui pourrait valoir à cet amusant récit un joli succès, spécialement chez les 70000 et quelques doctorants qui bûchent actuellement dans le pays, selon les chiffres du Ministère.