Un pur moment de rage. Une rage telle qu’elle lamine tout sur son passage : assauts répétés et successifs contre un pays, l’Autriche, sa bourgeoisie, ses affairistes ; une hargne contre la famille, héritière et tributaire d’un catholicisme moribond, étouffant, et l’esprit mercantile dont elle se flatte. Là-dedans, seul l’oncle Georg s’oppose par son « mauvais » esprit au pouvoir mortifère de ces derniers. Il incarne également le refus du Nord et la résistance au nazisme. L’enfant, qui n’est pas encore le narrateur, retiendra la leçon. Il choisira la liberté de l’oncle au bonheur organisé de sa famille. Si le mot subversion (bouleversement de l’ordre établi, des valeurs) a encore un sens, Extinction, roman monumental d’un homme qui s’apprête à mourir, mérite d’être appelé par son nom : un chef-d’œuvre. Deux longues parties : « Le télégramme », méditation du narrateur, Franz-Josef Murau, à partir des photographies de ses parents (des « pierres tombales » où il reconnaît leur vérité) et de ses souvenirs sur sa vie antérieure ; « Le testament » prolonge le processus d’insubordination : retour sur la terre maudite, à Wolfsegg, funérailles, règlement de la question de l’héritage. Mais Extinction est aussi le roman du retour dans la maison du Père, du retour à l’enfance. Une œuvre solaire placée sous le signe de Rome, la ville où tout a pu recommencer pour Franz, contrairement à Wolfsegg, où la vie était falsifiée, truquée.
A travers elle, il célèbre la légèreté de l’existence (et celle du style). Des pages entières consacrées aux limites de la création sont ainsi animées par une joyeuse exubérance. Avec en prime une capacité à l’humour renouvelée sans cesse. Fanatique des naufrages, Thomas Bernhard n’a cependant jamais douté du plaisir de vivre. Prenons pour preuve cette insolence qui court tout au long du livre, alors qu’apparaît la figure de Spadolini, artiste sans œuvre et sans illusion sur la misérable société des « créateurs », tant il est vrai que de nos jours il est si facile de tomber au coin de la rue sur un artiste, tandis qu’un homme… Le tout doublé d’une confrontation au réel, où tout est dit sur le cimetière que nous habitons. Ainsi, parlant des journaux : « L’imprimé, c’est le réel, et le réel n’est plus qu’un réel supposé ». Extinction ou un art de la survie. Une rapsodie majeure pour les temps à venir.