En publiant simultanément Sag Harbor et Zone 1, Gallimard propose deux textes très différents pour aborder Colson Whitehead. Sag Harbor, c’est comme une B.O. de l’été : nostalgie, adolescence et souvenirs émus, un été 85 dans les Hamtpons. Zone 1, en revanche, donne dans la traque au zombie, mais sans virer au roman de genre : on serait plutôt dans l’analyse un rien cynique d’une Amérique (post, de fait) consumériste. On pourrait croire à deux exercices de styles. Peut-être à la fois la marque de fabrique et le point faible de tous les romans de Whitehead.

Colson Whitehead a vécu les villégiatures sur Long Island, dans ces bungalows de vacances de la bourgeoisie noire new-yorkaise. Azurest : on y est de sortie, le temps de l’été. Benji a 15 ans, il voudrait qu’on l’appelle Ben, marre de « Benji et Reggie ». Il a l’arrogance, l’innocence, la fraîcheur de son âge. C’est l’été du premier job, du premier baiser, du retrait de l’appareil dentaire, de la dissociation d’avec son frère, des responsabilités. Whitehead propose comme des vignettes de temps, des portraits d’instants. Sag Harbor est empli de langueurs estivales ; le rythme lent de début juillet, qui s’accélère à l’approche de septembre.  Ce qui distingue cet été 85 ? Pas grand-chose, un peu tout. Le portrait de Benji, de ses amis, est d’une remarquable finesse, les détails, sur le vif, d’une drôlerie incisive. Il y a dans Sag Harbor un été et tous les étés, avec leur lot d’envies, de rêves, d’attentes, de regrets, de souvenirs. « On était tous là. C’était là qu’on se mêlait à qui nous avions été, à qui nous serions. On partageait l’espace ensoleillé avec les échos de nous-mêmes ». C’est le tribut à la mémoire de l’enfance de Whitehead, son roman réaliste, sa part de nostalgie.

Rien de tout ça dans Zone 1, on s’en doute. A part peut-être ces mémoires volées à l’oubli, souvenirs du temps d’avant, qui renouent le fil nostalgie. On est dans la post-apocalypse, le film d’horreur, avec des zombies. Des zombies façon Whitehead, certes, mais son influence majeure ici demeure Romero (évoqué d’ailleurs dans Sag Harbor). Le scénario est simple : une épidémie, l’essentiel de la population mondiale réduit à l’état de mangeur d’homme. Les survivants fuient, errent, se rassemblent. La résistance s’organise à l’abri de hauts remparts. Le roman commence alors qu’une équipe de ratisseurs, l’Unité Omega, explore les immeubles abandonnés de Manhattan pour éliminer les zombis oubliés par les commandos de Marines et les « traînards », des « zombs dysfonctionnels », figés devant leur télévision, leur bureau, leur tasse de café. Mark Spitz est membre de l’Unité. Un survivant. Rien de remarquable, un type moyen, standard, typique. « Il était un homme médiocre. Il avait mené une vie médiocre, qui n’échappait au banal que par l’ampleur de sa banalité. Et à présent, le monde entier était médiocre, faisant de lui l’homme idéal ».

Le roman est intelligent, parfaitement construit. Les scènes du quotidien alternent avec les réminiscences de la vie d’avant, des détails sur la reconstruction, quelques scènes d’attaques de zombies. On sent dès le début que les choses vont aller de travers : « L’erreur consistait à succomber aux illusions dominantes. A céder à la nouvelle pandémie : l’optimisme phène, désormais impossible à éviter, contagieux, presque suffocant ». Whitehead nous conduit tranquillement vers son apocalypse finale, dépeignant une humanité qui finalement, mérite son sort. Reconstruisant sur les ruines de ses échecs un simulacre de réalité étonnament semblable au monde d’avant la Peste. Avec ses sponsors, ses castes dirigeantes, son individualisme. Tout est méthodique, un rien sarcastique. Lent, long, inéluctable. Pour le coup, on s’ennuierait presque.

Choisir ? Zone 1 n’est pas un roman d’horreur pour adeptes du genre. Sag Harbor est plus qu’une bluette estivale nostagique. Les deux textes sont bien pensés, constuits, réfléchis. Sag Harbor tient mieux ses promesses. Parce qu’un été d’adolescent reste un été d’adolescent, partout et de tout temps. L’intemporalité, au service d’une certaine universalité.

Traduit de l’anglais par Serge Chauvin.