Plus ou moins vendu comme le fils spirituel de son hilarant quasi-compatriote (il est d’origine écossaise) Stephen Fry, l’ex-journaliste et cinéphile Rupert Morgan s’engouffre derrière lui dans la voie de la farce satirique à gros budget en relatant le monstrueux dérapage d’une civilisation cybercapitaliste qui pourrait presque être la nôtre, s’il n’avait pris la précaution de l’installer sur une autre planète, quelque part dans le cosmos. Et malgré un titre français parfaitement grotesque (la version originale, qui a atteint des sommets commerciaux outre-Manche, s’intitule Let there be Lite), une couverture assez peu élégante et une concurrence féroce (le genre est un véritable sport littéraire national en Grande-Bretagne), ce premier roman à l’humour aussi énorme que ses ficelles ne manque ni de charme ni, c’est le moins que l’on puisse dire, d’efficacité.

Bienvenue aux Etats-Unis d’Atlantis, donc, où la campagne présidentielle bat son plein : pour enfoncer son adversaire, l’actuel vice-président accepte le soutien de l’influent John Lockes, magnat de la haute-technologie software et président-fondateur de l’empire industriel Infologix (toute ressemblance avec des personnages existants réellement n’étant absolument pas fortuite), lequel monnaye sa générosité en empruntant à l’Etat une poignée de détenus des prisons fédérales. Détenus qui serviront de cobayes pour la mise au point de l’outil définitif en matière de prévention criminelle : la Rectopuce (devinez où on se la carre), admirable circuit miniaturisé permettant une surveillance par satellite sans faille. Inutile de préciser que l’énigmatique et insaisissable John Lockes a d’autres idées en tête, et que quelques événements annexes (enquête journalistique inopportune, double braquage de banque avec prise d’otages et insurrection populaire spontanée) viendront en freiner la réalisation tout au long de ce pavé burlesque invraisemblablement rythmé. De fait, rien ou presque n’échappe au regard dévastateur du romancier : fumisterie démocratique, imposture alimentaire, cirque médiatique, exode rural, restaurants à thème et instituts pour surdoués sont quelques-uns de ses innombrables chevaux de bataille, canardés l’un après l’autre au gré des scènes et gags d’un texte finalement bien construit malgré sa longueur. Inégale et bourrée de défauts (des attaques un peu consensuelles, quelques coups dans l’eau et un style foutraque), cette vaste comédie parodique et sociétale reste un ton en dessous des Stephen Fry et autres Tom Sharpe au côté desquels elle se range ; son énergie inépuisable et son humour pour le moins tonique font toutefois oublier la banalité de son fil conducteur (le fantasme plus ou moins bien déguisé de la surveillance panoptique parfaite et du contrôle absolu) et suffisent à convaincre. Il y a des romans mineurs, mais tous les fous rires se valent.