C’est sans doute dans le dialogue de la page 17 de Mort d’une prima donna slovène qu’on trouve son meilleur résumé : « Comment vous appelez-vous ? -Lejka. -Lé-ï-ka ? -Lea Kralj, a-t-elle corrigé en levant les yeux du bouillon qui s’écoulait, en un mince filet, dans un bol de porcelaine. C’est chez moi qu’on m’appelle Lejka. » Pratiquement tout le livre est condensé dans cette interrogation bipartite sur la connaissance et les malentendus, l’image et l’identité de l’autre, ce miroir de soi. Il y aura donc Lea Krajl, plutôt jeune cantatrice bouleversant les foules (« Avec elle, l’opéra n’est plus une antiquité, ni Brahms un compositeur pour femmes névrotiques »), qui « postule » au titre de Slovène de l’année 2000, décerné par la revue Petronius. C’est là-bas que travaille le narrateur, un journaliste (un peu « Dominique Fernandez ») dont on ne saura pas grand chose (quoique), si ce n’est qu’il est l’amant d’un certain Pablo (qui mourra renversé par une voiture à la moitié du livre), et qu’il est (ou sera), plus ou moins, un intime, un « accompagnateur », de la prima donna slovène.

Le livre présent sera le fruit de leurs rencontres, notes ou voyages, le récit des petites manies de cette diva de plus en plus proche de son interlocuteur, jusqu’à une certaine chambre d’enfant -on ne dévoilera évidemment rien des cinquante (magnifiques) dernières pages. Composé en quatre-vingt-cinq courts chapitres, oscillant entre Paris, Madrid, Milan et Ljubljana, le deuxième roman publié en France (deux autres sont encore inédits) de Brina Svit confirme l’enthousiasme provoqué par Con brio, récit d’un écrivain hongrois qui s’amourachait d’une jeune blonde qu’il appellera Kati avant de l’épouser, en lui tapant dans le dos, alors que la pauvre s’étouffait ! Née en 1954, Brina Svit vit à Paris depuis vingt ans où elle officie comme cinéaste (deux courts-métrages à son actif) et critique littéraire, laissant son mari à 1250 kilomètres de distance. Sa vision de la capitale, qui n’est pas sans rappeler le chic d’un Modiano, est assurément l’une des raisons de dévorer sa Mort d’une prima donna slovène tant sa plume sait s’emballer pour une rue, un petit hôtel, et ce sans tomber dans l’esthétique « office du tourisme ». Ce sont d’ailleurs tous les « à côtés » de la trame qui font avaler un parti-pris de dualité entre le journaliste et la star qui se confie (façon psychiatre et patient) ; parti-pris au départ un peu pesant et démonstratif. De plus, Brina Svit a su instaurer une petite musique, fort bien rythmée, où les figures anodines s’entremêlent (le groupe sanguin, le foulard, le tir à l’arc, j’en passe) reviennent, puis s’en vont, en véritables leitmotivs. A l’image des seconds rôles, presque kitsch : le lieutenant-colonel Haas, la mère madame Ingrid, la professeur madame Kudelka (un clin d’œil au photographe Joseph Kudelka ?) ou l’étrange amant Remek.

Ces quasi-chromos s’avéreront toutefois fort versatiles, rendant le récit plus noir, « malherien », interpellant le lecteur sur ce qu’il croit savoir de l’autre et de ses sentiments, de leurs réciprocités, de leurs ambivalences. On ne sait rien de ce qui nous est extérieur, il n’y rien dans la vie qui ne soit incertain, mis à part la solitude, la mort et, peut-être, le hasard. D’où une autre clé, située dans la conclusion d’un étrange prologue, à relire une fois la lecture terminée : « Les vraies questions, nous nous les posons toujours tout seuls, bien que cela ne veuille pas dire que nous sachions y répondre ». Mais pourquoi ?