Reprise en poche d’un formidable texte de Rick Bass (discret pléonasme) publié aux Etats-Unis en 1989, puis en France sept ans plus tard par Christian Bourgois, où l’américain raconte à la première personne les notes d’un géologue : « Je suis de Houston (Texas) et je travaille à Jackson. Je cherche du pétrole dans tous le pays. J’ai trouvé du pétrole au Michigan, une fois. J’attirerai votre attention, si je puis me permettre, en vous disant ceci : que je peux trouver du pétrole pratiquement n’importe où, si je m’y applique suffisamment – et par là même expliquer, peut-être, pourquoi moi et les autres géologues faisons ce que nous faisons. (Chercher du pétrole). »

Après des études de biologie et de géologie, Bass a en effet travaillé plusieurs années comme géologue spécialisé dans les gisements de pétrole et de gaz, et c’est peu dire que l’auteur maîtrise son sujet : il en exprime, dans une langue inouïe (saluons le travail du traducteur, Philippe Garnier), l’aspect réellement passionnant, nous engouffrant dans le vif du sujet, exposant par le menu les tenants et aboutissants de ce thème rarement exploité en littérature, la prospection pétrolifère. Le moins curieux n’est sans doute pas cette poésie industrielle qu’il en tire, cette façon originale de considérer ce qui pourrait n’être qu’un job polluant comme un autre mais dont, exalté, il magnifie les engrenages et les étapes. Analyser un sous-sol, c’est s’apprêter à découvrir un trésor ; forer, c’est commencer à le toucher du doigt ; et Rick Bass de nous faire visiter le théâtre entier, scène et coulisses, machines et collaborateurs, géologie et psychologie, histoires et profils… « C’est une poussée d’adrénaline, courir après ce pétrole ; suivre les courbes de niveau sur les cartes que vous établissez pour traquer ces structures si élusives, se gratter la tête un moment, des fois qu’il y aurait un anticlinal sous la section 36, mais finalement non, vous poussez un peu plus bas, jusqu’aux confins du patelin voisin. Taux de profondeur sonique, profondeur d’invasion, signes de failles, gravité données amplitude anomalie vaguelettes glissements (…) toutes ces choses vous passent par la tête, pénètrent votre vieux cerveau humain lent à la détente, et pendant ce temps là votre vieille grosse paluche humaine continue de dériver sur la carte, avec son crayon numéro HB ». L’or noir mérite enfin son nom.

L’américain passionne, forcément, et fait de ce témoignage, où l’intérêt de l’aspect strictement documentaire prime de loin sur l’arrière-plan personnel / sentimental et la réflexion romanesque (« Roche, terre, arbre, montagne, rivage : les bonnes choses durent plus longtemps que les mauvaises. La ferme me rend heureux ce matin sans même essayer. Elle me soulève et me transporte. Je l’ai créée, et elle existe. C’est ça que je cherchais » : en concluant par ces mots, l’auteur suggère que le pétrole n’est pas, dans ce texte, l’unique objectif de sa quête) qui l’accompagnent, une véritable œuvre littéraire. Ambitieuse, originale, neuve, passionnante, comme seuls quelques rares grands écrivains peuvent d’ailleurs en donner.