Pier Paolo Pasolini est entré en littérature avec une réputation scandaleuse, autrement dit comme un bon sujet. Ses livres (puis son cinéma) nous parlent de crimes, de garçons, de violence, de séduction, et toujours de vie -même si de loin cela peut ressembler à l’enfer. Le poète ne dit pas autre chose. Loin d’être un confort intellectuel sagement organisé, un simple exercice de rhétorique, ses poèmes introduisent la chair à tous les étages. Qu’il parle de son enfance passée dans le Frioul auprès de cette mère qui fut tout, de l’absence du frère, du dialogue impossible avec le père (« nous étions de grands ennemis, mais notre inimitié faisait partie de notre destin, elle était hors de nous »), Pasolini concentre en quelques traits incisifs tout un cosmos bien ordonné : description d’une nature amie (et déchue), considérations politiques, réflexion sur les formes (écriture, cinéma)…

Lisons-le : « La langue de l’action, de la vie/qui se représente/est infiniment plus fascinante !/C’est elle qui se reconstitue/-à peine refermé-/à partir d’un livre de poésie :/elle est avant et après« . Ou encore : « les signes faits musiques/la poésie chantée et obscure,/qui n’exprime rien sinon elle-même,/selon l’idée barbare et exquise/qu’elle est un son mystérieux/dans les pauvres signes oraux d’une langue ». Réconciliation entre l’action et l’expression poétique, pourtant située par son auteur en deçà de l’expression musicale. Car cette dernière est la seule à pouvoir condenser, à une altitude indéfinissable, tout ce que contient les actions de la réalité. Ce n’est pas faux. Beauté des discours qui ne sont pas univoques ; richesse d’un regard sans innocence, neuf, passant du sacré au profane, du présent au passé, de l’histoire collective à l’histoire personnelle, afin de démystifier tout ce qui peut l’être, y compris les idées les plus « nobles ». Cette « autobiographie versifiée » réunit les vertus théologales d’un univers dont nous n’avons pas fini de repousser les limites. Elle est à lire… d’urgence.