On n’est plus complètement sûr depuis des années, quand on ouvre un roman signé Sollers, de n’avoir pas affaire à un faux. Un pastiche. Un type qui se ferait passer pour Sollers, qui aurait embobiné la chaîne de fabrication chez Gallimard, et réussi sous ce nom à publier un livre où il imiterait les tics de l’auteur de Femmes, jusqu’à berner les critiques qui, sans le savoir, encensent depuis des années les romans d’un imposteur. Si ça se trouve, Sollers lui-même marche dans la combine ; peut-être en est-il l’initiateur. Il s’est trouvé un nègre, un type dégourdi doté d’un bon sens de l’humour, à qui il a fixé un cahier des charges ; contre rémunération, il lui a confié le soin d’écrire chaque année un petit roman dont Sollers est le héros, à paraître l’hiver chez Gallimard. Et ça marche : on n’y voit que du feu. Les faux Sollers, du reste, sont meilleurs que les vrais. Dans ce fameux cahier des charges, on trouve sans doute des consignes comme celles-ci : « – Ecrire en paragraphe courts, deux interlignes entre chaque. – Citer Baudelaire. – Citer Mozart. – Citer la Bible. – Pornographie (pas trop). – Heidegger, Hölderlin. – Des anecdotes, telles quelles ; le moins de commentaire possible, pour faire croire qu’elles parlent d’elles-mêmes. – Eventuellement : Proust, peinture, architecture. – Citer Sollers. – Dire : Bref, Passons, Notez que. – Dire : n’a jamais été lu et/ou n’a jamais été compris (exemples : le rite catholique, la pensée chinoise), etc. – Libertinage, amour libre, etc. »

On ignore le nom du nègre qui a écrit L’Ecole du mystère, mais il est doué : le contrat, s’il existe, est respecté. Rien ne manque, chaque clause est obéie, le résultat est sollersien en diable. Ce roman se lit avec plaisir ; on saute du coq à l’âne, d’un sujet intelligent à l’autre, en prenant soin d’effleurer, sans approfondir. Il y a des farces, des gags de vieux potache. Le titre oppose deux écoles : la vraie, celle de la République et des gens normaux, où l’on s’ennuie et n’apprend rien (soumission, grégarisme, morale conventionnelle, étouffoir social, etc.) ; celle, sollersienne, du mystère et de la beauté (la vie, les femmes, la liberté, etc.). Un personnage de ravissante bécasse, Fanny (ou quel que soit son nom), est là pour rappeler qu’il ne suffit pas de vouloir s’inscrire dans cette école pour y entrer : combien se piquent de littérature et d’intelligence, qui restent des crétins imperméables à la beauté ! De toute façon, la beauté, seul Sollers, de nos jours, y a encore accès. On sera embêté, le jour où il ne sera plus là. Au fait, question : des romans de Sollers sortiront-ils encore, quand Sollers sera mort ? On pourrait monter une usine de pastiches. Il suffirait aux employés de recombiner les clauses du cahier des charges. Vous vous demandez si cette usine n’existe pas déjà, et si L’Ecole du mystère n’en sort pas. Ce qui revient à vous demander si Sollers n’est pas mort. Erreur : Sollers est immortel. Il cabotine dans l’éternité, avec le génie qui lui est propre.