Ce roman est le récit nostalgique d’une rencontre, celle entre Jacqueline et le narrateur, qui s’est produite, trente ans plus tôt, dans les années 1960. Une histoire qui se résume, de l’aveu même du narrateur, à quelques noms et à quelques lieux. Une vingtaine pour l’épisode parisien. Guère plus pour celui qui les mène, tous les deux, à Londres. Leur relation n’aura duré finalement qu’à peine trois ou quatre mois. « Un laps de temps très bref » mais suffisant pour que, de cette relation, naisse une liaison amoureuse sur laquelle Modiano jette un voile pudique. Autrement dit, cette histoire se résume à presque rien. C’est là toute sa force et sa beauté. Une odeur d’éther flotte sur cette histoire. Cette « saloperie », pour reprendre le mot de Jacqueline, qu’elle respire dans sa chambre d’hôtel ; premier instant de complicité entre elle et le narrateur. Est-ce « l’effet de l’éther »? Ces pages sont plongées dans une « sensation de vide, de fraîcheur et de légèreté », entre rêve et réalité. Le narrateur ne cesse d’affirmer qu’il se trouve « dans un rêve dont il faudrait bien [qu’il] se réveille ». Jeu subtil des réminiscences. Une certaine ambiguïté plane sur chacun de ces personnages. Le cas du narrateur en est symptomatique. Sorte d’agent double, il est à la fois un « témoin gênant » et un détective. Il n’hésite pas à mener ses propres investigations : enquête de voisinage, vérification d’identité, filature et, au besoin, effraction. La routine policière, en somme. Une méthode romanesque qu’affectionne particulièrement Modiano.

Fabien Spillmann