« Ali booma yé ! Ali booma yé ! » C’est au son de ce cri de guerre lancé par Ali que les hostilités furent entamées à Kinshasa. A notre gauche, George Foreman, champion du monde en titre des poids lourds ; à notre droite, Muhammad Ali, prétendant à la reconquête de la couronne, « sa » couronne, après s’être absenté près de trois ans des rings suite à son refus d’aller combattre au Vietnam ; plein centre, plongé dans l’arène tel un fauve ivre d’en découdre avec ses obsessions, et fasciné par la violence, Norman Mailer, écrivain hors catégories. Ce soir, selon la promesse -non tenue- faite par Ali, nous allons « danser ». Cette danse s’organise sous nos yeux. Elle allie la rapidité d’exécution à la précision du trait. Et ne tient qu’à un seul homme : Norman Mailer. Car son récit embrase toutes les données qui ont fait de ce combat le « combat du siècle », de l’arrière-plan politico-économique du pays à la psyché des pugilistes, en passant par les recettes rarement divulguées sur le noble art -proche ici de la partie d’échecs. En un mot, une galerie de portraits saisissants (boxeurs, entourage mafieux, journalistes, Africains…) balayés par le stylet d’un homme qui ne s’en laisse pas compter, quoique son admiration flagrante pour son modèle le conduise, à coups de superlatifs trompeurs, par moments, à écrire des phrases épiques, là où la retenue aurait pu s’imposer.
Mais l’homme, porté par l’irrationnel d’un continent qu’il appréhende en cette occasion, est excessif, voué à l’action, donc à la provoquer (évoquons le passage mémorable sur son footing avec Ali). Quitte à se mettre en scène ; exercice d’introspection où il ne s’épargne pas lui-même. Et sa façon est littéralement extra-ordinaire pour un publi-reportage (initialement publié dans Playboy). Des séances d’entraînement (poids des mots véhéments d’Ali) au récit du combat (choc des images qui vous sautent au visage), il enchaîne les morceaux de bravoure, toujours à l’affût d’une information, exerçant son acuité tel un félin ayant une proie en ligne de mire, mélangeant les genres (expérience personnelle/événements publics) pour approfondir et polir son récit, savoir jusqu’où, juste avant le point de rupture, sa phrase pourra le mener. Energie vitale de l’écrivain immergé dans un théâtre d’ombres. Pour quelqu’un (Mailer fut le seul journaliste présent dans les vestiaires juste après le combat) qui n’a « jamais tiré aussi peu parti d’un tel scoop », ce n’est pas si mal.