Le psychopathe, le tubard et le mythomane. Le road trip sur fond de krach boursier 1929 de Monte Schulz (fils aîné de Charles M. Schulz, l’homme des Peanuts) aligne un curieux trio monté en Packard Six pour parcourir les grandes plaines américaines. Fort relent de Far West et désuétude truffée de clichés : le roman est immédiatement visuel, cinématographique. La narration nourrit un sentiment de déjà vu qui rend les personnages, les lieux, familiers. L’écriture s’inscrit dans une tradition littéraire identifiable, faisant du récit une chambre d’écho particulièrement efficace. Marathon de danse en ouverture, caravane de cirque pour clôture, espaces infinis du Middle West, fermes abandonnées, bourgades traversées par la poussière, écrasées de soleil entre deux : Monte Schulz redonne naissance à un panorama hyperréaliste des années 1930, avec son cortège d’ignorances, de drames, et la Grande Dépression pour toile de fond des exactions de son improbable gang.

Embrigadés presque malgré eux par Chester (dans le rôle du tueur), Alvin, fermier condamné, et Rascal, nain déshérité, sont les acteurs muets d’un scénario macabre, fait de coups de folies, de magouilles véreuses, de braquages de banques, de meurtres, le tout comme banalisé par les grands espaces, la misère ambiante, l’appel de la route. La peur, insidieuse, transforme les suiveurs en complices, au point qu’ils n’imaginent plus comment arrêter cette machine mise en branle qui les possède et les aliène. Ralliés au dingue sur un coup de tête, un désir irrépressible de pimenter leurs existences, ils subissent l’aventure qui vire au cauchemar, portant un sérieux coup à leurs illusions. La crédulité candide et oiseuse d’Alvin, le monde fantasmé de Rascal : rien ne les a préparés au voyage infernal dont le rythme s’accélère au fur et à mesure que les kilomètres défilent. Pas de hasard, si la rencontre avec le cirque marque le point culminant du récit. Fête foraine, foire aux monstre, Palais des Glaces, diseurs de bonne aventure. L’atmosphère se fait délétère, la réalité perd de sa netteté. Difficile de rêver meilleur moment pour fuir l’emprise de Chester Burke, l’évasion marqué au sceau de l’improbable.

Chronique d’une Amérique endormie, Sur l’autre rive du Jourdain convoque les figures et les lieux indissociables de l’imaginaire des grandes plaines, avec ce qu’il faut de détachement, de drôlerie, d’absurde, pour éviter l’écueil du pastiche ou de la redondance. Sur le thème rebattu de la quête d’identité, Schulz greffe une lecture de la désespérance américaine directement héritée des grands romanciers US, et se paye le luxe de l’immersion immédiate du lecteur dans un univers connu, convenu, juste réinventé avec le zest de piquant nécessaire pour ne pas lasser, et même parfois surprendre.