Le nom de Chester Steven Wiener vous dit-il quelque chose ? Auteur d’une fameuse thèse doctorale sur Michel de Montaigne qui lui permit d’intégrer le corps enseignant de l’université de New York, il est aussi l’heureux mari d’une femme charmante rencontrée le 18 août 1987 dans l’Iowa et épousée cinq ans plus tard, avec laquelle il a d’ailleurs plusieurs fois survolé l’Atlantique pour les besoins de ses recherches. C’est à l’occasion d’un bref séjour parisien que Mme Wiener rédige La Vie de Chester Steven Wiener écrite par sa femme, premier tome d’une amoureuse entreprise biographique que publia finalement en 1998 un grand éditeur de la rue Saint-André-des-Arts. Ecrit en français, le livre était conçu « comme un cadeau aux Français qui ont tant fait pour nous, et avec tant de gentillesses ». Depuis sa mise en vente, le couple a rejoint New York, où l’auteur a désormais tout le loisir de regarder la vie s’écouler et l’Amérique s’agiter depuis la fenêtre de son loft à Times Square : lui vient l’idée de commencer la rédaction irrégulière d’un petit journal new-yorkais où seraient consignées quelques anecdotes et impressions cocasses susceptibles d’amuser ses amis du Vieux Continent. Que tout cela soit vrai ou pas (« Toute similitude avec des événements réels, des personnes existantes ou ayant existé serait pure coïncidence »), le bouquin existe et n’est effectivement pas sans amuser ; voici une vingtaine d’épisodes américains parfaitement loufoques, racontés dans une langue genre traduction automatique truffée de ces formules alambiquées et vagues de fonds adverbiales souvent incompréhensibles que la charmante Mme Wiener désignait pudiquement dans son premier ouvrage comme « quelques américanismes et défauts de maladresse littéraires lamentables mais entièrement innocents », ce que l’on est prêt à croire.
Du 11 avril 1998 au 28 juin 1999, elle s’est penchée sur le déferlement du Viagra, l’obsession procédurière nationale, l’actualité de l’art contemporain dans les musées de Manhattan, les ragots mondains et faits divers scabreux ou encore les coulisses des prochaines échéances électorales, bref, sur tout ce qui fait le quotidien des New-yorkais que nous ne sommes pas et qu’elle pense utile de nous apprendre. Hilarant parcours sociologique sur les courants et tendances de la Grosse Pomme, au tréfonds tortueux de l’esprit américain, ce petit journal de bord bourré jusqu’à la gorge d’informations parfois vaguement plausibles, le plus souvent parfaitement invraisemblables, évoque un peu les chroniques de voyage d’un Jerome K. Jerome lues par George Eddy, dans un français plein de tournures délicieusement incorrectes, d’adaptations anglophones innocemment abusives et avec un accent qu’on entend presque ; un français qu’elle estime elle-même joliment « tordu par la force sentimentale ou émotionnelle de l’écrivain », comme elle le confiait à son éditeur. Tout cela, quoique d’un intérêt limité, est franchement plus divertissant que les carnets américains de Philippe Labro et, avec un dictionnaire franglais-français sous la main, on s’y amuse beaucoup. Qui est vraiment Mme Wiener ? Question sans réponse : laissez donc le charme agir.