Cinq romans, dont deux traduits, Les Privilèges et La Fabrique des illusions, ont imposé Jonathan Dee au premier rang des romanciers américains, même s’il reste moins connu que l’autre grand Jonathan, Franzen, à qui on peut du reste le comparer à bien des égards. On cite aussi souvent à son sujet les noms de Fitzgerald et Jay McInerney, le premier parce que Dee met souvent en scène des Américains fortunés qui se cassent la figure, le second à cause de son humour narquois qui donne leur tonalité à ses livres. Moins ambitieux sans doute que La Fabrique des illusions, ce nouveau roman (2013) n’en reste pas moins recommandable. Il commence par un superbe chapitre de rupture conjugale, mi-dramatique, mi-sarcastique, dans une famille huppée de la banlieue new-yorkaise. Ben, avocat, vient de tromper sa femme Helen avec une employée du cabinet, et s’est fait démolir la tête par le petit ami de cette dernière ; pour ne rien arranger, l’intéressée a porté plainte pour harcèlement. Cet adultère réduit l’honorabilité de Ben à néant et fait exploser son couple. Tandis qu’il purge une petite peine de prison, Helen part s’installer avec leur fille à New York, où elle trouve un job de consultante en relations publiques. Or, il apparaît bientôt qu’elle possède un talent surnaturel pour gérer les situations de crise et réparer les réputations. Sa méthode ? Toujours inciter ses clients à ne pas nier, leur faire déballer toutes leurs turpitudes sur la place publique, et les supplier de demander pardon. Quand la sincérité est dévoyée en arme de communication comme les autres…

Comme dans ses précédents romans, Dee excelle à mélanger réflexion critique sur la société contemporaine et destinées individuelles, et tisse habilement les fils de son histoire – le divorce d’Helen et Ben côté intime, le job d’Helen à New York côté social, les séances d’école buissonnière de leur fille adolescente, etc. Le seul point faible de l’intrigue consiste dans le surgissement d’une improbable vedette de cinéma dont l’intervention accélérera le dénouement du récit en donnant à Dee l’occasion de quelques observations acides mais convenues sur Hollywood et ses paillettes. Réserve qui n’ôte rien à la valeur de ce roman à la fois drôle (Dee a un vrai talent pour inventer des personnages secondaires carabinés et pour aligner les répliques qui tuent) et profond sur ce thème finalement très actuel : le culte de la contrition, héritage chrétien dans nos sociétés désenchantées, revers inquisiteur du culte de la transparence et de la vérité. On est évidemment tenté de faire un parallèle avec les débats français sur la repentance, mais ce serait voir les choses avec des lunettes un peu trop hexagonales s’agissant de ce romancier, américain par excellence.

Traduit de l’anglais par Elisabeth Peellaert.