Soixante-sept pages terrifiantes à vous couper le souffle, qu’on lit d’un trait comme on absorberait un breuvage toxique et dangereux, mais en toute connaissance de cause. Certains véritables bonheurs de plume, nulle paresse, une prose haute, consciencieuse, soutenue et ciselée qui file direct et droit, et qui… fracasse. Egorgement définitif de l’univers concentré et concentrationnaire des médias, dénonciation de la falsification généralisée, fin annoncée de la civilisation enracinée dans le mensonge des boutiquiers devenus maîtres du monde. Nous vivons dans un film de Walt Disney, c’est-à-dire dans une réalité tragique. Il y a les bons et les méchants, les retournements de situations quand il le faut, les pièges et les faux pièges ; c’est animé, rapide, vif, coloré et parfaitement infect. Tout y est : l’humour rassurant, la confiance généralisée, l’asservissement réussi des esclaves, le pouvoir des maîtres qui ne seraient rien sans eux, tous dépendants, tous inextricablement liés, pieds et poings et cervelles ; les révolutions sont des spectacles truqués, les illusions se trafiquent comme les indulgences dans la grande Eglise du cinéma universel. Et si vous ne croyez pas, ou ne vous forcez pas à croire, vous êtes bons pour les hôpitaux. L’état normal consiste à être fou. Les plus lucides en conviennent mais le taisent, jouent le jeu de gré ou de force, supportent, subissent, sachant que n’importe où où ils se tourneront sera l’impasse : In Girum Imus Nocte et Consumimur Igni…

Dans de telles conditions, il est extrêmement difficile d’écrire. G.E. Debord n’était pas un maître et ne pouvait, par conséquent, avoir de disciples. À l’attention de ceux qui ne l’ont pas lu -et il n’y a pas urgence-, on peut dire à peu près sans se tromper qu’il est un philosophe du XXe siècle, c’est-à-dire un homme qui n’aura pas écrit des livres inutiles. Michel Bounan l’a lu et y a confirmé son idée qu’il peut être avantageux d’écrire et de publier des livres comme celui-ci, qui ne sont pas inutiles. Ça peut suffire pour vous tenter d’aller vous y brûler les doigts.