Et si l’e-pistolaire remplaçait progressivement le bon vieux recueil de correspondances ? Avantages du tout technologique : multiplicité des points de vues, narration plurivocale et, à la clé, un panel de visions éclatées formant un grand tout souvent jouissif. Sans vouloir la jouer icône-trash à tous les coups, on ne peut s’empêcher de penser au bon vieux Douglas Coupland et sa X-Gen ; et ce dès l’approche du livre de Matthew Beaumont. Mais si le canadien peut être considéré comme l’un des dynamiteurs de la littérature contemporaine de par sa narration chaotique et son alliance inédite pop-art / écriture / nouvelles technologies, Matthew Beaumont reste indubitablement dans le roman de genre. E-mail story se complaît ainsi dans une niche, le roman d’entreprise, sorte de resucée, version années 90, des fameuses « campus novel » de l’ère angry young men, signés Kingsley Amis et consorts. Mais si les perspectives du roman ne sont pas si ouvertes qu’on aurait pu l’espérer, la réalisation, même si très formatée, développe une mécanique efficace du comique de situation. Soit une immersion totale dans l’univers impitoyable d’une agence du publicité londonienne.

On stoppera très vite les velléitaires néo-cultureux pour qui la thématique rappellera obligatoirement le très poussif 99 francs du futur présentateur de Nulle Part Ailleurs : le roman de Beaumont est un texte bourré d’un humour bon enfant et communicatif, sans prétentions revendicatrices. Coup de chance, Beaumont a en plus un réel talent de conteur, articulant son histoire autour des démêlées virtuelles des employés de l’agence, perdue en plein budget coca-cola. On pourra certainement objecter que la galerie de portraits donne dans le cliché. Peut-être, mais c’est nier l’existence du codage comique de tels romans : personne n’a jamais reproché à Lodge de se complaire dans la féroce satire du milieu universitaire. Il faudra donc prendre cet E-mail story pour ce qu’il est : un pur moment de divertissement calibré au signe près, un récit transpercé par cet humour anglais que certains nomment « wit ».

Seul regret, et non des moindres, l’attente que l’on pouvait placer dans ce premier essai de fiction électronique. A aucun moment Beaumont n’utilise les capacités illimitées de la cyberculture à produire un sens nouveau, via l’alternance modulable du graphique (smileys, images, etc.), du créatif (nouvelle stase plus hachée, mots abrégés) et du thématique (la distance face à la machine, principalement). La matière des emails des correspondants est trop lisse, trop parfaite pour être un pur produit de la grande machinerie détraquée du corps humain et sociétal. Aucune aspérité, aucune faute d’orthographe ne vient poindre derrière le grand agencement narratif opéré par l’auteur. Il faudra encore attendre quelque temps pour voir poindre les œuvres ultimes de la surproduction informationnelle : emails à l’état brut, chat in extenso, cut-up systématique et lignes de textes en pleine fuite de sens. Pour le moment, une alternative de bonne qualité : le génial précurseur (Microserfs) et sa plaisante mise à jour grand public (E-mail story).