Mark McNay est un écossais pur jus et la lecture de son premier roman, pourtant édulcoré de tout argot de Glasgow par la traduction, ne laisse pas le moindre doute à ce sujet. Un Jour sans est un roman réfrigérant et, indéniablement, un texte qui a du ventre. McNay, qui a multiplié les petits jobs avant de s’inscrire dans un programme d’écriture pour se lancer en littérature, campe ici une journée dans la vie de Sean O’Grady. Si le procédé n’est pas original, l’effet, malgré tout, est là.

Tout se passe dans une petite ville industrielle, façon Ecosse sinistrée. La plupart des habitants travaille dans l’usine locale de conditionnement de poulets, dont le tapis roulant semble défiler sans jamais devoir s’arrêter. Sean est un ouvrier parmi les autres, la tête farcie de rêves mais conscient de ne pas avoir d’avenir ailleurs qu’ici. Tout comme son oncle, qui l’a élevé et travaille en face de lui sur le tapis de triage. Il pourrait presque s’y faire. Il a déjà sa petite maison, sa femme qu’il adore, sa fille. Il pourrait presque s’y faire, donc, s’il n’avait pas ces envies récurrentes pour autre chose toujours prêtes à le submerger. Alors le soir, il évite de sortir boire un verre au pub, avec la famille, les copains. Il économise. Motif invoqué : une grosse dépense occasionnée par un voyage scolaire, qu’il doit rembourser. Le motif réel est bien évidement tout autre : la somme qu’il doit rembourser, il l’a dépensée pour lui, pour égayer le quotidien. Et l’argent vient d’un « emprunt » prélevé sur un paquet de fric que son frère lui a laissé avant de partir en prison.

Ce jour là pourrait être comme les autres : encore un jour à prendre le bus, à travailler comme en famille, à avaler trop vite son déjeuner, fumer entre deux portes, rentrer vidé. Mais alors que la journée avance, la rumeur enfle : Archie, son frère, a été libéré. Archie sera là ce soir. Archie va vouloir son argent. Archie est dingue. S’il a lui aussi grandi chez l’oncle Albert, après la mort des parents, il a très vite mal tourné. Voyou de quartier puis caïd local, il a failli entraîner Sean dans son sillage. Hasard de la vie ou chance, Sean s’est raccroché aux branches. A la clef, il a gagné une existence moins faste, moins trépidante, mais oh combien plus sûre. Seul nuage à l’horizon : cette pression constante imposée par son aîné, qu’il ressent en permanence. Archie fait peur même à ses proches. En apprenant qu’il va rentrer dans la journée et, surtout, qu’il n’a pas pris la peine de le prévenir, Sean panique. Il doit vite trouver l’argent qui manque. Il consacrera donc toute la journée à cette quête : banque, emprunt au tonton, à la caisse de solidarité de l’usine, jeu en dernière extrémité, tous les moyens sont bons. Et ce qui paraissait au départ un défi impossible à relever finira par se résoudre, à force d’acharnement. Quand la journée de travail s’achève, Sean a réuni tout l’argent. Il est libre. Sauf que les choses se passent rarement comme il faudrait : une fois n’est pas coutume, elles vont encore se gâter, très vite, trop vite. Il y a toujours des jours sans… Et celui-ci, à n’en pas douter, en est un.

Emule de James Kelman et héritier des écrivains de l’école de Glasgow, McNay laisse son texte s’emballer, sans un geste pour l’arrêter ou même le ralentir. Il guide ses protagonistes sans leur laisser entrevoir la fin de leur journée. Rapide, fluide, brut, le texte se déroule avec une aisance étonnante. La comparaison avec Welsh est tentante : il y a bien chez McNay un peu de la gouaille de son illustre aîné, notamment dans ses dialogues et dans cet univers du quotidien qui rassemble losers, misère, trivialité du quotidien. A aucun moment la tension ne baisse ; la violence, sourde, semble sans cesse prête à exploser, comme pour mieux condamner tout espoir péniblement porté.